Résumé : Introduction. L’objectif de ce travail est d’évaluer la possibilité d’utiliser l’électroacupuncture (EA) chez la femme enceinte dans les nausées-vomissements, la maturation cervicale et l’induction du travail. Méthodes. A partir de deux cas cliniques, la discussion portera sur l’intérêt d’utiliser l’EA en obstétrique en complément de l’acupuncture manuelle en se basant sur un état des lieux des essais comparatifs randomisés (ECR) et des méta-analyses. L’acupuncture expérimentale est abordée également, permettant de mieux appréhender les mécanismes neurophysiologiques. Résultats. L’utilisation de l’EA ou de la neurostimulation électrique transcutanée appliquée aux points d’acupuncture (TEAS) potentialise les effets de l’acupuncture manuelle seule. Conclusion. Selon les preuves issues des ECR, l’EA peut être considérée comme plus efficace dans les nausées et vomissements, la maturation du col utérin et l’induction du travail chez la femme enceinte que l’acupuncture manuelle isolée. Mots clés : Electroacupuncture - Nausées – Vomissements – Maturation du col – Induction du travail – Obstétrique – Neurostimulation électrique transcutanée appliquée aux points d’acupuncture - TEAS – Mécanismes neurophysiologiques.
Summary : Introduction. The objective of this study was to evaluate the possibility of using electroacupuncture (EA) in pregnant women in nausea, vomiting, cervical ripening and induction of labor. Methods. From two clinical cases, discussion will focus on the benefits of using EA in obstetrics in addition to manual acupuncture based on an inventory of randomized controlled trials (RCTs) and meta-analyzes. The experimental acupuncture is also addressed, to better understand the neurophysiological mechanisms. Results. Using the EA or transcutaneous electrical acupoint stimulation (TEAS) potentiates the effects of manual acupuncture alone. Conclusion. According to evidence from RCTs, the EA can be considered more effective in nausea and vomiting, ripening the cervix and inducing labor in pregnant women that the only manual acupuncture. Keywords : Electroacupuncture - Nausea - Vomiting - Maturation of the cervix - Induction of labor - Obstetrics - Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation applied to acupuncture points - TEAS - neurophysiological mechanisms.
Nous avons vu dans un précédent article la place de l’électroacupuncture (EA) (1) dans les algies chez la femme enceinte. Nous abordons à partir de cas cliniques, son intérêt dans les pathologies de la grossesse en dehors de l’action analgésique avec les modalités des protocoles confrontés aux données issues des essais comparatifs randomisés (ECR).
Cas cliniques
Nausées et vomissements du premier trimestre
Une jeune femme de 28 ans, primipare, consulte à 15 semaines d’aménorrhée (SA) pour des nausées opiniâtres accompagnées d’hypersialorrhée, de crachats mousseux et de vomissements clairs de glaires et salive. La langue est épaisse avec empreintes des dents et enduit lingual central blanc, gras. Le pouls est glissant, perlé (hua). Selon la différenciation des syndromes (bianzheng), un diagnostic de Mucosités-Glaires est porté. Trois séances de 20mn à une semaine d’intervalle entraînent la disparition complète des nausées et vomissements. Les points utilisés : 6MC (neiguan), 12VC (zhongwan), 40E (fenglong) stimulé par EA à une fréquence de 100Hz (300µs), 3Rt (taibai) et 36E (zusanli).
Maturation du col et induction du travail
Chez cette seconde pare à 41SA, avec un petit retard d’un jour par rapport à la date présumée d’accouchement et sans contractions utérines, une induction du travail est souhaitée. Un traitement non individualisé standard est utilisé impliquant les points 3F (taichong), 4GI (hegu), 6Rt (sanyinjiao), 31V (shangliao) et 32V (ciliao), 3VC (zhongji) et 4VC (guanyuan), les quatre derniers points en EA à une fréquence de 2Hz (300µs) pendant 30 minutes. Quelques contractions surviennent durant la séance et l’accouchement survient 20h après.
L’électroacupuncture à visée antiémétique
Le seul et unique ECR concernant l’EA dans les nausées et vomissements (NV) de la femme enceinte et qui démontre son efficacité est celui de Rosen (2). Cet ECR en simple aveugle de bonne qualité méthodologique (n=187) montre une réduction au cours du premier trimestre de la grossesse de l’EA (fréquence non connue) sur 6MC (neiguan) versus groupe placebo. En fait, il s’agirait davantage d’un dispositif de neurostimulation électrique transcutanée appliquée aux points d’acupuncture (TEAS = transcutaneous electrical acupoint stimulation) car la stimulation électrique se ferait par l’intermédiaire d’un bracelet Velcro de 34g muni d’électrodes adhésives appliquées sur la peau. La TEAS est réalisée par l’intermédiaire d’électrodes adhésives appliquées sur la peau de manière transcutanée alors que l’EA est percutanée. Quoiqu’il en soit et selon la collaboration Cochrane de Matthews et coll. (3), la stimulation électrique serait plus efficace que l’acupuncture manuelle.
Pour se faire une idée de l’efficacité de l’EA dans les NV, il faut se rapprocher aussi de ce qui se fait dans les NV induits par la chimiothérapie. Ainsi, la méta-analyse de Ezzo et coll. qui a étudié les trois différentes formes d’interventions (acupuncture manuelle, EA et acupression) objective que l’EA dans trois ECR (n=134) est bénéfique dans les vomissements aigus versus le traitement habituel (p=0,02). Versus groupe témoin, l’acupuncture manuelle ne serait pas efficace dans les NV et l’acupression le serait dans les nausées aiguës mais pas dans les vomissements (4). L’EA est utilisée aux points 36E (zusanli) et 6MC (neiguan) à une fréquence de 2 à 10Hz (impulsion de 500µs à 700µs) (5).
Acupuncture expérimentale
Expérimentalement chez la souris, on observe que l’EA (2Hz alternée à 15Hz) au point 12VC (zhongwan) réduit la motilité gastrique par action sur les récepteurs vanilloïdes 1 (TRPV1) (6). Une autre théorie suggère que chez le chien, l’EA au 6MC (1 à 30Hz) réduit les contractions rétrogrades péristaltiques à travers l’action directe sur les muscles lisses de l’intestin grêle et de l’estomac, action abolie par la naloxone, d’où l’implication des neuropeptides opioïdes (7). Idem chez l’homme avec une EA à 1Hz, mais avec une modulation de l’activité myoélectrique gastrique visible par électro-gastrographie (EGG). Ainsi, l’EA sur le 6MC inhibe l’amplitude du péristaltisme gastrique alors que le 36E l’amplifie. Par contre, s’ils sont stimulés ensemble, on a un effet synergétique par diminution du péristaltisme gastrique (8).
Chez quatorze sujets sains dont on a déclenché volontairement une distension gastrique, la stimulation électrique du 6MC par TEAS (100Hz avec impulsion de 100µs) réduit de manière significative (40% ; p<0,02) la relaxation transitoire du sphincter inférieur de l’œsophage (RTSIO)[a], action non inhibée par la naloxone chez l’homme. Cet effet ne semble pas être médié par les récepteurs µ opioïdes (9). On retrouve le même résultat chez le chat. L’EA à une fréquence de 2Hz alternant avec celle de 100Hz (2/100Hz) sur le 6MC et 36E réduit la RTSIO et peut être médiée par l’oxyde nitrique (NO)[b], les récepteurs CCK-A et les récepteurs µ opioïdes (10) et les voies cholinergiques (11,12).
« Commentaires sur le cas clinique
Selon les conceptions de la Médecine Chinoise, la croissance progressive du fœtus enclenche une augmentation progressive du qi, lequel associé à l’accumulation du qi du chongmai va déclencher une remontée de qi à contre-courant. Ce mécanisme contrarie le mouvement de descente normale du qi de l’Estomac qui va alors s’épuiser progressivement. Dans ce cas clinique, il y a un Vide de qi de la Rate et l’Humidité s’accumule et entraîne au final la formation de Mucosités-Glaires (tanyin). Le point important à puncturer est donc le 40E. Selon les données expérimentales réalisées chez l’homme, mais aussi chez l’animal, l’EA à une fréquence de 100Hz ou 2/100Hz semble le meilleur compromis pour réduire la RTSIO. En cas d’un bianzheng évoquant un Vide de qi de Cœur et Feu du Cœur, le 6MC en EA à une fréquence de 2Hz aurait été plus judicieux. »