Quand la Covid nous oblige à changer notre manière d'enseigner !

Voici les réflexions du Dr Marc Barrault, adhérent au SNMAF, mais aussi enseignant au DIU d'Acupuncture Obstétricale à l'Université de Lille, que je propose à tous les enseignants universitaires mais aussi à tous les conférenciers des webinaires travaillant dans le cadre du distanciel (nouveaux mots à la mode).

Dr Jean-Marc Stéphan 

 

Quand la Covid nous oblige à changer notre manière d'enseigner !

Nous allons reprendre le truisme selon lequel la période particulière que nous vivons nous oblige à changer de regard sur notre monde et à intégrer de nouveaux outils dans notre manière d’enseigner. La transmission des savoirs qui se faisait « en présentiel » est devenue impossible. Pourtant l'acte d'enseignement-apprentissage ne peut -être effacé. Il nous faut préserver le lien avec les apprenants, respecter les programmes et leur temporalité, valider les acquis des étudiants et évaluer par la même occasion la qualité de nos enseignements.

Pour cela, nous, enseignants, sommes devenus apprenants dans le but de l'appropriation de nouvelles modalités de traitement des savoirs dans le mode virtuel . Le monde des logiciels et des manipulations permettant la gestion des réunions à distance par écrans interposés s'est imposé simultanément comme facilitateur et obstacle à une communication efficiente. Le paradoxe réorganise à la fois le monde technique de la démarche didactique et le monde personnel de l'appréhension des nouvelles modalités de communication qui incluent les affects afférents (incertitudes techniques, craintes diverses associées aux contraintes matérielles, maîtrise adéquate des échanges , etc. ).

Le média comme facilitateur

Notre époque ne manque pas de « magie » comme le rappelleraient certaines croyances animistes.

Obtenir un logiciel, s'en rendre maître rapidement, se connecter sans encombres, échanger miraculeusement par artefacts interposés sont des actions qui apportent une satisfaction infinie à ce que les moralistes appelleraient notre « vanité » et les neurobiologistes le striatum. Nous sommes devenus tellement puissants que nous nous affranchissons même des distances

Pour ne pas perdre nos apprenants, pour continuer nos programmes, valider nos enseignements et les connaissances de nos étudiants, il a fallu s’adapter et s’approprier des logiciels permettant des réunions à distance : le cadre de notre écran semble nous ouvrir largement à la collectivité de nos élèves par un simple clic. Il nous reste ainsi la saveur incomparable d’une véritable autonomie ( !) qui nous libère de toutes les lourdeurs administratives qu'imposent les rencontres réelles et tridimensionnelles ( déplacements, réservation de salles, location d'espaces ). Cela suppose cependant que dans le monde aménagé qui est le nôtre, les étudiants disposent du matériel informatique indispensable : ordinateur ou autre outil, connexion.

Dans mon expérience, l 'enseignement se fait avec des professionnels de santé représentant non pas un public captif mais des apprenants ayant une démarche volontaire. Ce qui est un privilège ; et facilite sans doute la démarche

Le média comme obstacle

En dehors des difficultés matérielles évidentes qui peuvent se présenter, ce nouveau mode de prise de contact ou de rencontre virtuelle nous oblige à reconsidérer notre démarche pédagogique ainsi que nos choix didactiques. La souplesse que les échanges en face à face favorisent n'est plus de mise. Aussi faut-il chercher et trouver les moyens de rendre les apprenants plus autonomes tout en potentialisant leur motivation et en favorisant un enseignement qui reste interactif. Pour cela, dans le contexte qui nous concerne, la pédagogie inversée est un outil précieux et efficace. L'interaction est, en l’occurrence, de type horizontal, dans un échange dont le but est la construction de représentations bien calibrées et partagées dans le domaine traité. Les motivations individuelles visant à réduire les ignorances, les incertitudes ou le ridicule supposé des inquiétudes personnelles doivent être encouragées afin de gommer, autant que faire se peut, l'inconfort du support technologique de la rencontre.

C'est parce que nous , humains, sommes des être sociaux, que l 'enseignement virtuel est un obstacle. C'est la raison pour laquelle la démarche pédagogique doit aider à une mise en confiance qui facilite, paradoxalement, la liberté de parole. La possibilité de controverse devient un impératif catégorique présent dans la démarche du gestionnaire de l'échange.

Un autre aspect est important : il s'agit de l'inertie induite par le cadre immobile à double dimension de l'écran. Cette double dimensionnalité rend impossible tout échange d'énergie biophysique que cristallise la présence en groupe et ses diverses manifestations émotionnelles. De ce fait l' échange , a fortiori la controverse, deviennent difficiles. De fait l' émotionnel a disparu, les manifestations du vivant comme les mimiques, pour ne le réduire qu'à cela, sont absentes sur cette interface  technique, figée, ne permettant pas les réactions immédiates adaptées aux situations d'échanges et communications. Le formatage et l'arbitraire restent le défaut de ce genre de processus qui, au nom de la nécessité ou de la moderne facilité détruisent la complexité du vivant.

Le vivant se caractérise par sa capacité à s'adapter à ses contextes. La Covid remet tout en cause décontextualisant, de fait, les individualités en présence : notre relation à l'autre est sérieusement atteinte par un enfermement qui désociabilise enseignants et enseignés. Les réseaux sociaux considérés comme lien potentiel et réel montrent leurs limites dans les divers degrés observés de déresponsabilisation favorisée par le caractère virtuel du média. La prudence, par définition éthique, qui organise le face à face réel, disparaît, laissant place à l'expression subjective des passions personnelles dans laquelle la possibilité d'argumentation raisonnée et le débat ont disparu. C'est pourquoi nous devons, nous, enseignants, chercher et trouver les moyens d'utiliser un média arbitraire et d'en faire un outil d 'échange de qualité mettant en exergue les richesses du désaccord et les possibilités de mise en perspective des points de vue devant se rencontrer dans une représentation commune de savoirs partagés et validés par la communauté scientifique de référence .

La conclusion des constats fait ci-dessus est que nous nous trouvons dans une situation paradoxale dans laquelle les tensions sont celles de la possibilité de la rencontre opposée à l'éloignement physique réel et la perception de contextes personnels qui ne sont pas ceux de la rencontre réelle dans l'espace de la classe.

La problématique est donc celle de réduire l'isolement, favoriser la confiance et libérer la parole dans le cadre préétabli de la nécessité de l'argumentation et de la prise en compte des différences de perceptions et représentations. Cela implique un acquis validé sur les démarches de métacognition. L'enseignant doit avant toute chose s'assurer du fait que les apprenants sont conscients de leurs propres démarches conceptuelles, de leur affects, voire de leurs croyances. Ce n'est qu'à cette condition que l'on peut envisager une démarche de qualité dans l'échange pédagogique et la compréhension des démarches didactiques dans ce cadre virtuel. Ce n'est qu'au prix de cet effort que les individus peuvent à la fois cultiver leur particularité tout en participant à l'organisation du groupe appliqué au traitement des savoirs proposés.

 Docteur Marc Barrault

Chargé de cours à l'Université de Lille - UFR Médecine - DIU Acupuncture Obstétricale