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Fengchi 風池 20VB, Mare du Vent

 

Indissociables des paysages de Flandre, les moulins à vent du Nord de la France, tels que celui de Watten de neuf mètres de haut au sommet du mont culminant à soixante-douze mètres, se dresse fièrement sur son bastion dominant la plaine maritime flamande et l’Audomarois depuis 1731, date de sa construction [[1]]. Face au vent, il servait à moudre du grain. Dans nos contrées, dès le Moyen-Age, les deux éléments naturels que sont l'eau et le vent ont été domestiqués par l’homme, permettant de conquérir des terres nouvelles sous le niveau de la mer. Ainsi, les moulins à vent ont été utilisés dans l'Audomaroiss pour drainer l'eau autour de Saint-Omer et de Clairmarais et rejeter ainsi le surplus d'eau dans la mer. C'est au XIIe siècle que le comte de Flandre, crée les « Wateringues » pour coordonner l'action collective de drainage de la plaine entre Watten, Calais et Dunkerque. L'eau était rejetée dans des fossés et canaux appelés watergangs. Ces moulins étaient équipés d'une roue à palettes et pouvaient remonter jusqu'à deux mètres d'eau afin de drainer le marais audomarois.

L’approche analogique de l’acupuncture fait correspondre l’élément Vent feng avec le Bois et les méridiens de Foie et de Vésicule Bilaire ; et, l’élément Eau shui 水 avec ceux de Rein et Vessie. Le fengshui (風水), art traditionnel extrême-oriental, littéralement « le vent et l'eau » » a pour but d'apporter à un site de travail ou d’habitat un environnement harmonieux propice au bien-être, à la santé et la qualité de vie de ses occupants en tenant compte justement de l’interaction des cinq phases (Eau, Bois, Feu, Terre, Métal, Feu), du yin et du yang, ect. [[2]]. Toujours par analogie, la mare ou encore traduit par piscine 池 est en rapport avec l’eau. Ainsi dire que si le Rein est en insuffisance par Vide de yin (élément Eau), le Bois (Foie-Vésicule Biliaire) dans le cycle d’engendrement sheng ne sera pas nourri et de ce fait l’élévation du yang de Foie s’ensuivra, cause de Vent interne. Il est alors nécessaire selon les principes de la médecine chinoise de tonifier la Racine (ben), le Rein, mais aussi le Foie afin d’éviter que ce Vent ne se transforme en tempête, tout comme les ailes d’un moulin s’emballant car non freinées par le pompage de l’eau.

Ainsi fengchi (20VB), mare du vent, point du méridien de Vésicule Biliaire, point de croisement avec le méridien du Triple Réchauffeur (sanjiao shoushaoyang), du yangweimai et du yangqiaomai a pour indications de chasser, éliminer et expulser le Vent, d’améliorer l’audition, d’avoir des effets bénéfiques sur la tête et les yeux, de réanimer la conscience, de « rafraîchir » la tête en fortifiant la Moëlle et le Cerveau [[3],[4],[5]] et aussi selon le professeur Wei Jia d’agir sur les ulcères gastriques (wei wan tong), d’agir sur l’asthme dû au Vent Mucosités en purgeant le Feu du Foie et de la Vésicule Bilaire (dans les troubles de la ménopause), d’agir sur l’alopécie en libérant le qi du Foie déprimé et en régulant le qi du Poumon, de traiter diverses céphalées de type Vent ou par Stase de Sang, les acouphènes, les rhinites, etc. [[6]].

Vous ne serez pas alors étonnés de voir dans « Voyage d’étude en Chine » de Florence Phan-Choffrut que le fengchi est encore cité dans les rhinites allergiques, mais aussi dans les urticaires chroniques (car selon la MTC, maladie classée dans les maladies dues au Vent). Robert Hawawini nous fera part aussi de son expérience du 20VB dans le diabète non insulino-dépendant en association par exemple avec le neiguan 6MC et le taichong 3F car ces points mobilisent la Stagnation du qi du Foie, chassent le Vent, clarifient la Chaleur du Cœur et du Foie en cas d’élévation de son yang (chasse le Vent interne neifeng).

Mais à cette vision toute analogique des choses, on peut y associer aussi l’approche cybernétique qui considère que tout système doit maintenir son homéostasie par des mécanismes d’autorégulation et ses boucles de rétroaction (feedback). Ainsi fengchi (20VB) est un bon exemple de cette action cybernétique. Tout d’abord, c’est un des soixante-trois points majeurs, comme vous pourrez le constater en lisant « Points majeurs, points courants et points secondaires » de Claude Pernice et Johan Nguyen. Dans les vertiges, vous lirez dans les brèves de ce numéro que 20VB accélère la vitesse du flux sanguin en améliorant l'apport sanguin aux artères vertébrales ; mais en cas de migraine et si une électroacupuncture (EA) à une fréquence de 2/15Hz est appliquée, son action serait associée au récepteur cannabinoïde de type 1 avec inhibition du système trigéminovasculaire et de l’inflammation neuronale et/ou modulation des voies descendantes du tronc cérébral. Si on recherche le deqi sur le 20VB, son action dans la migraine est alors davantage liée au système de signalisation du gène de la calcitonine plasmatique (CGRP) et de la substance P (SP) qui serait inhibé. Découvrir aussi qu’en fonction de la fréquence de l’EA, l’effet sur la migraine est différent. A étudier en lisant le long article sur la prévention des migraines par traitement des jingbie.

Et de ce fait, il est peut-être intéressant comme le signale Johan Nguyen dans son éditorial, de s’approprier « les outils des neurosciences, essentiels dans la compréhension de l'acupuncture, tout comme les modalités de preuve en thérapeutique avec l’Evidence-Based Medicine ».   

 

 

[1]. Office du Tourisme de Watten. [Consulté le 02/12/2017]. Disponible à l’URL: http://www.watten.fr/IMG/pdf/plaquette_moulin_2017.pdf

[2]. Truong Tan Trung Hsr. Comment organiser son habitat selon le fengshui ? Acupuncture & Moxibustion. 2016;15(3):174-181.

[3]. Cobos R, Vas J. Manual de Acupuntura y Moxibustión (libro de Texto). Volumen 1. Beijing: ediciones Morning Glory Publishing; 2000. 

[4]. Focks C. et collectif, traduit par Sylviane Burner. Atlas d’acupuncture. Issy-les-Moulineaux : Elsevier  Masson; 2009.

[5]. Deadman P, Al-Khafaji M. Manuel d'acupuncture. Bruxelles: Satas; 2003.

[6]. Shan Bao Zhi. Utilisation clinique du point fengchi (20VB) selon l’expérience du professeur Wei Jia. Médecine Chinoise et Médecines Orientales. 1995;13:41-5. [Consulté le 02/12/2017]. Disponible à l’URL: http://www.gera.fr/Downloads/Formation_Medicale/POINT-d-ACUPUNCTURE-approche-THEORIQUE-CLINIQUE-ET-EXPERIMENTALE/Fonctions-et-indications-des-points-d-acupuncture/shan-11985.pdf.

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La tortue () et la grue (顶鹤), symboles de longévité 

 

La tortue (龜) et la grue (丹顶鹤), symboles de longévité

Le but de la médecine chinoise est d’allonger la vie, d’atteindre l’immortalité. Deux animaux, la tortue et la grue sont d’ailleurs liés à cette longévité dans la symbolique taoïste qui imprègne la civilisation asiatique (Vietnam, Japon ou Chine..). La tortue () est l'un des quatre animaux célestes, surnaturels ou bénéfiques de la Chine ancienne, avec le dragon, le qilin (animal composite fabuleux possédant pelage et/ou écailles et une paire de cornes ou une corne unique) et le phénix. Du fait de sa durée de vie exceptionnelle, elle est l'une des allégories de la longévité et symbolise la sagesse et l'immortalité. La voici représentée au sein de la Cité interdite (紫禁城) de Beijing ou le long de la Voie des Esprits à l'entrée de la nécropole impériale des Ming (figure 1)

 Figure 1. Le Pavillon de la Stèle (beiting) accueille en son centre une énorme tortue, portant sur son dos la plus grande stèle de Chine, haute de dix mètres, fabriquée en 1425.

 

En Chine, dès les civilisations protohistoriques (dynastie Xia (2205‐1766 AEC1), Shang (1765-1122 AEC) et Zhou (1121-722 AEC), la tortue permettait la divination par l’étude de son écaille, comme ultérieurement, on utilisa la lecture des hexagrammes du Classique des Mutations (Yijing 易經) [[1]]. On recherchait la volonté du Ciel en brûlant la carapace de la tortue. Et d’après les diverses formes de déchirures, produites sous l’action de la chaleur, les conjectures étaient prononcées. Sous la dynastie Tang, si la carapace était couverte de mousses ou d’algues, c’était ainsi un présage de longévité. Elle pouvait être aussi protectrice des digues du fait de la solidité de sa carapace. Par contre, si quelqu’un dessinait une tortue sur la porte de sa maison, c’était signe d’impudicité et de mauvaise conduite [[2]].

La grue appelée grue à couronne rouge en Chine (顶鹤 ; dāndǐnghè) en raison de sa tache rouge vermillon sur la tête, est également surnommée grue des immortels ( ; xiānhè), du fait de ses relations avec les huit Immortels, divinités du Taoïsme. En effet, dans la mythologie taoïste, elle les portait sur le dos, servant de monture [[3]] (figure 2). Elle est le symbole de la longévité et fait partie des emblèmes supertitieux qui sont érigés devant les pagodes ou devant l’entrée principale des maisons [1,[4]] (figure 3). Ainsi, un couple de grues sur un petit lac protège la ville de Xian de Shangri-La (Xiānggélǐlā Shi, 香格里拉市), anciennement dénommée Zhongdian (中甸). De même, dans les peintures murales tibétaines, on retrouve les symboles de « longue vie », comme la biche, la grue, le vieil homme grisonnant  avec une longue barbe, l’eau éternellement courante, l’arbre séculaire et les parois rocheuses des montagnes.

Figure 2. Les huit Immortels traversent la mer accompagnés par la grue.Werner ETC. [Consulté le 14/05/2017]. Disponible à l’URL : http://www.gutenberg.org/ebooks/15250.

 Figure 3. Peinture murale de grues à Dali (大理), province du Yunnan (Chine).

Figure 4. Un bougeoir, objet ornemental habituel dans les maisons chinoises, représentant une grue, montée sur une tortue d'eau, tenant dans son bec une fleur de lotus.

  

 Dans la tradition populaire, la grue symbolise aussi les sentiments durables et la protection, tandis que la tortue évoque davantage la longévité. Ensemble, ils symbolisent donc la longévité, la protection et la sincérité des sentiments (figure 4).

La grue blanche est également le symbole du médecin dans la Chine taoïste, comme signalé dans l’ouvrage de Rosenblatt dont vous trouverez la recension dans ce numéro. Vous découvrirez que l’acupuncture américaine doit beaucoup à un acupuncteur chinois Ju Gim Shek. L’acupuncture en 1968 qui fleurissait en Californie était pratiquée plus ou moins de manière ésotérique[1], s’incrivant dans une certaine altérité de la médecine chinoise. Et justement, le débat est ouvert par Johan Nguyen : le discours ésotérique doit-il toujours faire partie de notre champ professionnel ? N’est-il pas nécessaire pour être crédible vis-à-vis de la communauté médicale d’avoir l’impératif éthique de rompre avec ce discours ? Mais sommes-nous prêts ?

Lisez alors l’article de Nadine Streit, qui relatant sa propre expérience, montre que le patient  expert de sa maladie souhaite davantage participer au traitement en partenariat avec les scientifiques et les acupuncteurs en se basant sur la médecine factuelle fondée sur le niveau de preuve (Evidence Based Medicine). Il s’agit de s’éloigner donc de l’altérité de la médecine chinoise et de son ésotérisme promue par certains, mais aussi d’éviter le chant des sirènes de la zététique qui n’hésite pas à comparer l’acupuncture à une pseudo-médecine[2].

Les détracteurs de l’acupuncture en oublient que l’acupuncture est une médecine qui découle de la méthode scientifique. Ainsi, dès l'Antiquité, les médecins chinois ont développé des méthodes scientifiques rationnelles empiriques (dans le sens philosophique où l’origine de nos connaissances est uniquement attribuée à l’expérience et non à une quelconque Révélation dogmatique). L'empirisme procède de modes de connaissance dérivés de l'expérience et de la logique  et elle accompagna ainsi la naissance de la science moderne, caractérisée par sa mathématisation et son utilisation massive de la méthode expérimentale. Ainsi suite à l’influence européenne des jésuites, médecins officiels de l'empereur lors de leur arrivée en Chine aux XVIe et XVIIe siècles, les acupuncteurs chinois ont adapté rapidement leur pratique au nouveau paradigme de la médecine scientifique moderne [[5]]. Actuellement, la méthode scientifique désignant l’ensemble des démarches nécessaires pour obtenir des connaissances scientifiques par le biais d’instruments fiables est et doit être à la base de la validation de l’acupuncture. Elle est basée sur la reproductibilité et la réfutabilité qui nous protègent de la subjectivité.

L’outil majeur que la médecine possède donc dans sa démarche scientifique est la médecine factuelle basée sur l’évaluation. Pour vous en faire une idée, lisez justement l’évaluation du traitement des entorses aiguës de la cheville par point distal unique, ou bien les brèves d’acupuncture dans lesquelles des méta-analyses objectivent l’efficacité de l’acupuncture dans la maladie de Parkinson, les troubles de l'articulation temporo-mandibulaire ou les troubles psychologiques dans la grossesse. Et toujours dans cette optique de la démarche scientifique, on n’oubliera pas qu’avant d’avoir évaluation, il est nécessaire d’avoir des cas et des études cliniques. Ainsi sont abordées dans ce numéro de nombreuses pathologies traitées par acupuncture : rhinites saisonnières dites allergiques, épuisement physique et mental par excès ou inactivité professionnelle, libido féminine, myasthénie oculaire associée à une anosmie, maladies dégénératives traitées par la théorie du yinhuo, troubles du sommeil chez une patiente atteinte de schizophrénie et la perte de poids chez les patients obèses souffrant d’anémie ferriprive. Les études expérimentales sont également abordées : les effets de l’acupuncture sur un modèle expérimental de dépression chez le rat, les études par imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle, etc. chez des volontaires sains ou animaux de laboratoire à la recherche du substratum du méridien.

En tant que médecine à part entière, il est clair que le prix à payer pour que l’acupuncture puisse avoir enfin réellement droit de cité au sein de l’enseignement Universitaire, c’est de l’éloigner de l’ésotérisme, mais aussi de celui de la pseudo-médecine, tout en faisant confiance à la démarche scientifique de la médecine factuelle.

 

Jean-Marc Stéphan



[1]. René Guénon (1886-1951) qui est considéré par beaucoup comme une autorité de l’ésotérisme définit l’ésotérisme comme  étant du domaine de l’intérieur pour un public restreint et se comprend par son contraire l’exotérisme qui est du domaine de l’extérieur pour un public ouvert. Dans l’ésotérisme, l'enseignement oral est réservé au cercle restreint d’initiés et de disciples réguliers. Ainsi, le taoïsme, par exemple dans son aspect relatif à la quête d'immortalité peut être considéré comme étant de nature ésotérique. Pour Riffard PA, l’ésotérisme  est un  « un enseignement occulte, doctrine ou théorie, technique ou procédé, d'expression symbolique, d'ordre méta-physique, d'intention initiatique. Le druidisme, le Compagnonnage, l'alchimie sont des ésotérismes. ». Riffard PA. Dictionnaire de l'ésotérisme. 1e éd.Paris : Payot; 1983.

[2]. La zététique est définie comme « l'art du doute » par Henri Broch. Elle se destine aux théories respectant le critère de discrimination de Karl Popper qui met l'accent sur l'idée de réfutabilité par l'expérimentation ou l'échange critique comme critère de démarcation entre science et pseudo-science. Elle est présentée comme « l'étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences et des thérapies étranges ». Broch H. Université Nice Sophia Antipolis. [Consulté le 3 mai 2017]. Disponible à l’URL : http://www.unice.fr/zetetique.

 



[1]. Granet M. La Civilisation chinoise. 1e Ed. Paris: la Renaissance du livre; 1929. [Consulté le 14 mai 2017]. Disponible à l’URL : https://www.chineancienne.fr/d%C3%A9but-20e-s/granet-la-civilisation-chinoise/.

[2]. Doré H. Recherches sur les superstitions en Chine, première partie : les pratiques supertitieuses.quatrième volume. Tome II, 4(35). 1e Ed. Chang-Hai: Imprimerie de la Mission Catholique à l’orphelinat de T’ou-sè-wè ; 1912. [Consulté le 14 mai 2017], Disponible à l’URL : http://fr.calameo.com/read/00021549889ad38150d20.

[3] Werner ETC. Myths & Legends of China. New York: George G. Harrap & Co. Ltd; 1922.

[4]. Doré H. Manuel des superstitions chinoises ou petit indicateur des superstitions les plus communes en Chine. 1e Ed. Chang-Hai: Imprimerie de la Mission Catholique à l’orphelinat de T’ou-sè-wè ; 1926. [Consulté le 14 mai 2017], Disponible à l’URL : https://www.chineancienne.fr/d%C3%A9but-20e-s/dor%C3%A9-manuel-des-superstitions-chinoises/#extrait01.

[5]. Bossy J. Histoire de l’acupuncture en occident : exotisme–ésotérisme et opposition au rationalisme cartésien, complémentarité au système médical occidental. Méridiens.1980;49-50:13-54.

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