III) Les Jing Jin

          Encore appelés méridiens tendino-musculaires, les Jing Jin représen­tent une notion diversement interprétée par les auteurs occidentaux.

Notons d'ailleurs que les Jing Jin ne sont pas utilisés en Chine, ni en Extrême-Orient. C'est une notion théorique apportée par Nguyen Van Nghi (36).

  Revenons donc aux textes de base; le chapitre 13 du Ling Shu. La traduction du titre par Chamfrault est: "Les méridiens et les muscles " ; par Schnorrenberger: "Les méridiens et les tendons"; et pour Milsky et Andrès : "Les tendons des méridiens" (traduction du titre du chapitre 6 du Zhen Jiu Jia Yi Jing qui reprend le chapitre 13 du Ling Shu).

Selon Lara, l'idéogramme "Tsing Tsing" représente la notion de muscle traversé par un méridien (22), Pour Lafont, Giraud et Taillandier, le concept de méridien tendino-musculaire est impropre car il sous-entend un système de méridiens identique au système des méridiens principaux. Ils préfèrent parler de "Zone tendino-musculaire des méridiens ", En effet, ils considèrent que le méridien tendino-musculaire (M.T,M,) correspond aux muscles squelettiques placés sous la dépendance des méridiens principaux (20, 33).

Pareillement, Auteroche et Navailh précisent que les M.T,M. repré­sentent les muscles répartis le long des méridiens. "Leur fonction est de relier le squelette, de maintenir la cohésion de l'ensemble du corps et de commander le mouvement des articulations ". Pour eux, il n'existe que trois catégories de méridiens: les principaux (jing Mai), les méridiens extraor­dinaires (Qi Jing Mai) et enfin les méridiens distincts (jing Bie). Les Jing Jin ne sont donc pas des méridiens (2).

Milsky et Andrès décrivent également les trajets des Jing Jin en par­lant des tendons des méridiens: "quand le tendon de Taiyang de Pied est malade, on souffre de tiraillements et de douleurs au petit orteil et au talon, de spasmes et de contractions..." (16).

" Les méridiens ont sous leur influence les muscles qui se trouvent sur leur trajet et envoient des ramifications aux muscles environnants" (Ling Shu). La traduction de Chamfrault est donc à cet égard très explicite. Il ne parle absolument pas d'un nouveau réseau de méridiens. Et pourtant Chamfrault, dans son tome VI, reprend avec Nguyen Van Nghi ce système des méridiens tendino-musculaires et y développe une théorie énergétique intéressant la circulation de l' énergie Wei, les attaques par les énergies perverses Xie et le traitement des M.T.M. (6). D'autres auteurs (Faubert, Guillaume, Ming Wong, Lebarbier, etc.) utilisent également ce système des M.T.M. selon la conception de Cham­frault et Nguyen Van Nghi (8, 13,27,23,30).

 Il convient donc actuellement d'harmoniser les dénominations. L'usage restera sans doute, et on continuera longtemps à parler des M.T.M. Cependant, il serait judicieux de parler plutôt de "Jing Jin ", de "Muscles des Méridiens " ou de " Zone tendino-musculaire des méridiens " plutôt que de "Méridiens tendino-musculaires".

Quoiqu'il en soit, la connaissance des Jing Jin débouche sur une utilisa­tion thérapeutique. Selon Nguyen Van Nghi : "En cas d'atteinte par l'éner­gie perverse, celle-ci emprunte les capillaires pour atteindre les méridiens tendino-musculaires. Lorsque l'énergie (défensive) n'est pas assez puis­sante, c'est-à-dire lorsqu'elle se trouve en état de vide, l'énergie perverse pénètre dans les méridiens principaux et gagne les organes" (36, 6).

        Ainsi les énergies perverses (Xie), (le vent, le froid, l'humidité, la chaleur) pénètrent tout d'abord dans les Jing Jin et vont occasionner un état de plénitude énergétique alors que le méridien principal se trouve en état de vide.

Ensuite le Xie, dans un second temps et après avoir séjourné dans le Jing Jin, passe dans le méridien principal en y provoquant la plénitude tout en laissant le Jing Jin en vide.

" Tous les méridiens ont des vaisseaux secondaires qui les relient à l'épiderme. Quand on est atteint par l'énergie perverse, celle-ci passe d'abord dans les vaisseaux secondaires pour pénétrer ensuite dans les méri­diens, les organes, ou pour séjourner dans les muscles et les os... Quand les vaisseaux secondaires sont en plénitude et le méridien en vide, il faut faire des moxas au Inn (au méridien) et puncturer le Yang (aux vaisseaux secondaires). Quand le méridien est en plénitude et les vaisseaux secon­daires en vide, il faut puncturer le Inn (le méridien) et faire des moxas au Yang... (Su Wen chapitre LVI, "l'épiderme") (5).

Le problème est que Nguyen Van Nghi a interprété le terme "vais­seau secondaire" par méridien tendino-musculaire dans son ouvrage " Pathogénie et Pathologie énergétique en médecine chinoise ". Or il s'avère que les vaisseaux secondaires sont en fait les vaisseau Luo (Luo Mai). A noter tout de même que Nguyen Van Nghi en 1986 dans la Revue Fran­çaise de Médecine Traditionnelle Chinoise reprend la traduction du Su Wen et retraduit le terme par Luo Mai (38).

De ce fait, qu'en est-il du traitement de Chamfrault et de Nguyen Van Nghi? En cas de plénitude du M.T.M., on devait disperser l'énergie per­verse au niveau des points douloureux du M.T.M. et tonifier le méridien principal. En cas de vide du M.T.M., c'est l'inverse: moxer les points douloureux (points Ashi) du M.T.M. et disperser le méridien principal.

        Et bien, à notre avis, il semblerait que l'erreur de traduction ne modifie pas réellement le traitement des Jing Jin.

En effet, on peut considérer que les énergies perverses attaquent l'épi­derme, la chair et les muscles, protégés par l' énergie Wei, énergie de défense.

"Le Wei est l'ardeur des aliments, il est d'une nature trop fluide pour être contenu dans les vaisseaux, aussi circule-t-il dans la peau et entre les fibres de la chair..." (Su Wen chapitre43: les "Bi") (18).

            "Quand l'énergie perverse attaque l'épiderme, le malade ressent des frissons, les pores de sa peau s'ouvrent. Quand elle atteint les vaisseaux secondaires, ceux-ci se mettent en plénitude et la couleur de l'épiderme change, Cette énergie perverse peut se localiser dans les muscles et dans les os, Si l'énergie perverse est de nature Inn, il y a spasmes aux muscles et douleurs aux os ; si elle est de nature Yang, les muscles sont relâchés et la chair est comme fondue (atrophiée), Ce n'est qu'au moment où les énergies long et Dé sont affaiblies que l'énergie perverse peut atteindre les entrailles ou les organes ". (Su W en, chapitre 56 : "l'épiderme ") (5).

De ces citations, on peut en déduire que tout d'abord l'énergie Wei circule bien dans les zones tendino-musculaires et les territoires cutanés (Pi Bu). Par ailleurs, le Xie peut attaquer les Pi Bu et en même temps le muscle, les os... De ce fait, cela entraînera une plénitude de l'épiderme et du muscle sous-jacent, associée à un vide du méridien intéressé.

Puis, on peut très bien concevoir qu'avec le temps, l'affaiblissement de l'énergie Wei provoque un passage du Xie dans le méridien principal y occasionnant une plénitude associée à un vide du territoire cutané et de la zone tendino-musculaire, ceci se faisant, bien-sûr, par l'intermédiaire des fameux vaisseaux secondaires, les Luo Mai.

"L'énergie perverse pénètre en premier lieu dans les méridiens tendino-musculaires qui sont les plus superficiels des méridiens. Elle gagne ensuite des points Ting, qui sont des points de Grande Réunion des Éner­gies Inn et Yang (Nei King) sur les méridiens Principaux. Elle passe ensuite aux points lu qui correspondent à l'énergie extérieure. C'est à ces points lu que l'on peut toucher l'Énergie perverse..." (6).

         Ainsi donc, de nombreux auteurs préconisent de puncturer les points Ting et Iu dans toutes les atteintes par le Xie.

         Notons que le point Ting est le point de départ de l'énergie Wei dans les Jing Jin. C'est aussi un « carrefour de l'énergie » Yin et Yang (35),

Le point lu est le " point d'embarquement de l'Énergie perverse " (6) et doit être utilisé dans les maladies des articulations, des os et des muscles (35),

         " Quand un Muscle ou un Os est atteint par l'Énergie perverse, on dit que l'affection se trouve dans le Yang de Inn. Il faut puncturer les points King et les points lu des méridiens Yang ou Inn ".

"Quand une entraille est atteinte par l'Énergie perverse, on dit que l'affection est dans le Yang de Inn. Il faut puncturer les points Ho des Méridiens Yang " (6).

Les points King ont un rôle considérable dans le traitement des affec­tions liées au Xie. Chamfrault insiste sur leurs rôles de débarquement de l'énergie perverse (6). " C'est le point de concentration et d'arrêt de l'éner­gie" pour Nguyen Tai Thu (35).

«  Le point King attire l'Énergie perverse vers le passage dans un méridien principal dont le point Iu, de son côté, assure la dispersion » (6).

Enfin les points Ho sont les points d'entrée et de sortie de l'Énergie. Ils permettent de relier l'Intérieur à l'Extérieur.

Selon la loi des 5 éléments, le point Ho va correspondre à l'humidité pour les méridiens Yang. Le puncturer permettra d'évacuer cette énergie perverse, tout comme le point Iu le fera pour les méridiens Yin.

Par ailleurs, n'oublions pas que pour les méridiens Yang, les points Iu sont des points ,  « vent » qui permettent de chasser l'humidité en utilisant le cycle de domination (Ko).

        Pour être complet dans le traitement des Jing Jin, il nous faut parler de leurs zones d'union.

        En effet, les Jing Jin sont reliés par trois, selon leur nature et leur topographie.

        Ainsi la réunion des trois Jing Jin des méridiens Yang des membres inférieurs est située au niveau de l'os malaire, au point 18 IG.­

        La réunion des trois Jing Jin des méridiens Yang des membres supé­rieurs est le 13 VB.

Le 3 VC est la réunion des Jing Jin des méridiens Yin des membres inférieurs. Enfin, le 22 VB est celui des trois Yin des membres supérieurs.

Le Ling Shu (2) ne parle pas de ces zones d'union. On peut alors se référer au Zhen Jiu Jia Yi Jing de Huangfu Mi : "Le tendon du Taiyang de pied commence au petit orteil... et descend se nouer à la pommette... " ; "Le tendon du Shaoyang de pied commence sur le quatrième orteil... et monte se nouer à la pommette... " ; " Le tendon du Yang Ming du pied commence au troisième orteil... arrive au creux sus claviculaire et s'y noue, monte au cou et des deux côtés de la bouche, s'unit aux pommettes..." (16).

On remarque qu'à chaque Jing Jin d'un méridien Yang du membre inférieur, correspond une intersection commune avec les deux autres Jing Jin de la même catégorie; dans le cas présent, la pommette avec le point 18IG.

        Notons également que les textes vont notifier une intersection à tous les autres zones tendino-musculaires.

L'intérêt de puncturer les points de réunion est de stopper l'énergie perverse et de l'empêcher de gagner les deux autres zones tendino-­musculaires couplées.

        En conclusion, le traitement des Jing Jin peut se résumer par les tableaux ci-dessous:

Plénitude de la zone tendino-Musculaire

1) piquer le point de tonification du méridien principal.

2) piquer le point Ting.

3) piquer le point lu.

4) piquer - le point King si le Jing Jin est de nature Yin,

- le point Ho si le Jing Jin est de nature Yang.

5) piquer le point de réunion des Jing Jin.

6) disperser les points "" Ahshi '" de la zone douloureuse.

Vide de la zone tendino- Musculaire

1) piquer le point de dispersion du méridien principal.

2) piquer le point Ting.

3) piquer le point lu.

4) piquer - le point King si le Jing Jin est de nature Yin,

- le point Ho si le Jing Jin est de nature Yang.

5) piquer le point de réunion.

6) moxer les points "' Ahshi" de la zone douloureuse.