MERIDIENS,
1998 - N°110
Il y a un peu plus de trente ans, le docteur Didier Fourmont demandait au
Ministère de la défense l'autorisation de rencontrer au centre d 'essais en vol
de Brétigny, dans l'Essonne, les médecins du laboratoire de
recherches.
Depuis quelques années, le médecin colonel Cantoni dirigeait ce centre et
y pratiquait avec quelques adjoints des travaux sur les points d 'acupuncture
chinoise, en dehors des études touchant l'aéronautique. J'avais demandé, dès mon
retour d'Algérie, d'être affecté au laboratoire de recherches pour continuer des
expérimentations sur les pouls, ayant été autrefois initié à l'acupuncture, en
1960 par le docteur Cantoni à l'école de l'air de Salon de
Provence.
Le docteur Fourmont ne nous était pas inconnu, puisque nous faisions
partie de la société d 'acupuncture de Soulié de Morant, la plus ancienne des
associations dans cette spécialité. C'est là que nous avions rencontré les
grands anciens aujourd'hui disparus : Labrousse, Khoubesserian, Grall, Laval et
bien d'autres encore, qui étaient des compagnons du maître Soulié de Morant,
hélas disparu lui aussi depuis 1955. En Province, d'autres
amis
du
maître exerçaient l'acupuncture dont Niboyet, Choain, Méry, Feyrerolles,
Perpère, Husson, Nogier Jean Joseph . . . que l'on voyait souvent aux
réunions.
Tous
ces praticiens travaillaient, sans le savoir d 'après le fameux Ta
Tcheng, c'est à dire un livre d'acupuncture de base dont l'application
donnait de très bons résultats, mais limités.
A
l'époque, c'est à dire les années 60, nous avions, pour travailler les livres de
Chamfrault, de Lavier qui exposaient une technique bien plus complexe, selon des
ouvrages que nous ne possédions pas encore, le Ling Shu et le Su
Wen détaillé, puis le traité des pouls de Wang Chou Houo. Ce n'est que bien
plus tard que le docteur Fourmont fut le premier à se rendre compte qu 'il
fallait donner aux élèves de l'association des vues plus étendues sur la
médecine chinoise. Il fit donc en sorte de publier le Su Wen, par chapitres, sur
la revue Méridiens, puis plus tard sous la forme d'un
livre.
Un autre précurseur en matière de textes chinois anciens, fut le docteur
Nguyen Van Nghi, qui publia dès 1962 son fameux ouvrage Pathologie et
pathogénie de la médecine chinoise traditionnelle, ce qui fut un
véritable tournant dans l'exercice de cette spécialité et d'une pratique bien
plus efficace qu'auparavant.
Comprenant que les moyens de recherches
du laboratoire de médecine aérospatiale de Brétigny étaient considérables, notre
ami Fourmont vint alors nous visiter plus souvent et nous proposa de publier nos
travaux dans Méridiens. Dès lors, le médecin Colonel Cantoni et
moi-même, avons commencé à grouper nos résultats pour en faire des articles pour
la revue de l'association.
Didier Fourmont aimait bien venir à
Brétigny et appréciait beaucoup l'ambiance de camaraderie propre à l'armée de
l'air. Il assistait à mes expériences sur l'acupuncture, quand nous avions un
petit créneau disponible entre deux essais destinés à l'aéronautique, et
arrivait très vite dès que nous commencions une étude, en particulier sur les
pouls. On peut dire que si ce laboratoire a été le moteur des travaux entrepris,
le docteur Fourmont en a été le carburant et même l'accélérateur car il nous
demandait de rédiger des publications techniques et des illustrations qui, grâce
à Méridiens furent connues du public médical et des élèves de
l'association.
Quand je quittai le centre d'essais en
vol de Brétigny, muté pour le centre de documentation scientifique de médecine
aéronautique, je vis bien plus souvent notre ami Fourmont, qui habitait tout
près de cet organisme dans Paris . Il comprit que le temps des essais pratiques
était terminé, le médecin colonel Cantoni, devenu général ayant été muté lui
aussi. Il me poussa donc à me servir cette fois des moyens documentaires et des
liaisons étroites que nous avions avec l'étranger. C'est ainsi que nous avons pu
obtenir du
professeur
Becker de l'université de New York (Syracuse) des travaux fort intéressants sur
les propriétés électriques de la peau et en étudier les analogies avec
l'acupuncture.
De
son côté le médecin général Cantoni faisait la connaissance d'un ingénieur
électronicien, Monsieur Pontigny, passionné de médecine chinoise, et
entreprenait bientôt avec lui une somme de travaux qui devaient ouvrir la voie à
des découvertes dans le domaine de notre chère spécialité. Voyant là une
nouvelle voie, et décidément attaché de plus en plus à l'amélioration de
Méridiens, Didier Fourmont fut encore une fois le catalyseur
discret mais très actif de ces publications, en nous demandant régulièrement de
nouveaux sujets. Et puis, un jour devant l'ensemble des expérimentations
pratiquées et l'ancienneté, la personnalité du docteur Cantoni, Didier Fourmont
réussit à lui faire accepter la présidence de l'association la plus ancienne de
France.
Cantoni n'était pas un homme facile. Forte personnalité, sens de
l'organisation et du commandement, cet homme de guerre qui avait œuvré toute sa
vie pour 1 'armée de l'air depuis la France libre, à Londres, jusqu 'à la
Tunisie, et surtout l'Indochine, ne connaissait pas les civils et les méprisait
un peu. Il lui fallait un guide un mentor psychologue et patient, un homme calme
et diplomate. Le docteur Fourmont fut cet homme là. Il le pilota dans les
dédales de la vie médicale parisienne en modérant ses invectives toutes
militaires contre les autres sociétés d'acupuncture et lui évita bien des
<<bavures>> dues à son mauvais caractère d'ancien médecin chef
sévère !
Pendant des années, ainsi pilotées et surveillées par deux hommes
compétents et passionnés, l'ASMAF et l'EFA ont accueilli des centaines d'élèves
et d'adhérents . Ces hommes ont aujourd'hui disparu mais sont restés dans nos
cœurs comme des disciples éminents de celui qui a fait connaître à l'Europe
toute entière l'acupuncture chinoise, Georges Soulié de Morant. A l'heure
actuelle, loin de vivre sur son passé et de se reposer sur ses lauriers,
l'acupuncture s'engage dans le 21ème siècle avec tous les apports du progrès
scientifique. Elle a ses entrées dans les communications informatiques, et les
nouvelles générations de l'ASMAF et l'EFA font avancer leur spécialité avec les
moyens modernes . Les anciens peuvent dormir sur leurs deux oreilles, la relève
est assurée.
Docteur
J-F BORSARELLO