MÉRIDIENS, 1997 - N° 108

Editorial

 

Quand on a traduit lentement et longuement la pensée chinoise, conte­nue dans les Classiques, on a de la peine à formuler le mystère de la vie autrement que ne le fait cette tradition.

Je réponds à votre flatteuse proposition, en vous proposant, à mon tour; trois textes qui résument ce que l'on pensait au temps des Han, autour de l'ère chrétienne, sur la vie humaine. On peut en inférer les principes du dia­gnostic médical. Cela vous intéresse...

Le premier texte fonde tout diagnostic comme vision simple. Le deuxiè­me n'est que le rappel de l'état d'un homme, comme matière vivante offerte à l'observation. Les essences/esprits dans leur unité sont la vie complexe du composé humain. L 'homme, malade ou bien portant, retrouve ou perpétue l'authenticité primitive, «quand le premier soleil brillait sur le premier matin». Notre souci et notre quête quotidienne sont de ne jamais «séparer ce que Dieu a uni». L'unité organique est toujours une union active et parfaite. Le Simple, qui est à l'origine de ce qui apparaît en forme d'être vivant, se maintient Un dans tous les mouvements internes de sa croissance. S'il décline, c'est qu'il résiste mal à la dissociation de ses composantes. Le vieillissement du vivant doit être harmonieux.. un travail concerté, spontané de l'homme tout entier. Les textes chinois ou le disent, ou le laissent entendre.

Voici, sans plus de commentaires, ces trois textes. Le chapitre 10 du Laozi, pour illustrer ce principe que la vie est toujours occupée à empêcher que se rompe le rapport mutuel de ses éléments organiques. Les résumés des chapitres 6 et 7 du Huainanzi, eux, privilégient deux aspects de l'unité du vivant.

Chapitre 10 du Laozi

Vos âmes spirituelles et charnelles

S'embrassant dans l'Unité

Saurez-vous empêcher leur séparation

Concentrant vos souffles

Atteignant au souple

Saurez-vous produire l'Enfançon

Pur de toute souillure

Contemplant l'Originel

Saurez-vous y voir les êtres comme ils sont

Epargnant votre peuple

En conduisant l'Etat

Saurez-vous le garder éloigné du savoir

Devant la Porte du Ciel

Qui s'ouvre et se referme

Saurez-vous éloigner la femelle

Candeur illumination

A l'efficace universelle

Saurez-vous vous tenir au non agir

Laisser être

Laisser croître

Laisser être ne pas accaparer

Entretenir ne pas assujettir

Présider à la vie, ne pas faire mourir

C'est cela la Vertu originelle

6.LANMIN  Vision dans l'Obscur

déclare

Que l'essence suprême circule librement dans les Neuf cieux, Que l'Imperceptible disparaît dans le Sans forme,

Que l'Immaculé a le pouvoir de pénétrer la Pureté,

Que l'Éblouissant communique avec la Ténèbre obscure. Grâce à quoi, tout d'abord,

Nous recueillons l'ensemble des êtres,

Et nous dégageons des espèces;

Nous observons les êtres et les rangeons dans leur classe

Notre intelligence conçoit leur ressemblance avec l'espèce Ce que les êtres peuvent signifier

Tient au rapport du symbole qui les fonde à leur apparence Grâce à quoi nous nous frayons un chemin

À travers des embarras inextricables

En forçant obstacles et barrages.

Après avoir dégagé le sens humain des choses,

Pris dans un infini emmêlement,

Nous pouvons saisir clairement

Les stimulations qui viennent des êtres selon leur espèce Et les réponses qui reviennent des souffles analogues,

Les conjonctions du Yin et du Yang

Et le signe émis par la forme et le contour.

C'est ainsi que notre vision

Va au plus loin et embrasse l'universel.

7. JINGSHEN : L'Esprit vital

Plonge jusqu'à la racine d'où l'homme tire son existence,

Il nous éveille à la compréhension de la structure corporelle

percée des Neuf orifices,

Il tire du Ciel ce à quoi son image ressemble

Et assimile son composé sang-souffles au tonnerre et à la foudre,

Au vent et à la pluie;

En attribuant à la même réalité allégresse et colère de l'homme,

Plein jour et obscurité, froid et chaud,

Il consacre le commun resplendissement de leur Vertu.

Il examine avec soin où se séparent vivre et mourir;

Il relève les moindres indices qui permettent de discerner le semblable et le différent,

Il règle exactement le ressort caché de l'agir et du repos,

Pour le retour à l'ancestral de la nature propre et du destin particulier. Ainsi l'homme entretient-il et économise-t-il son Esprit vital,

Tient en paix Hun et Po, ne s'aliène pas dans les êtres.

Claude LARRE SJ.