Dr
Patrick TRIADOU
Résumé : La médecine chinoise n'est devenue traditionnelle que récemment au cours de ce siècle, qui a aussi été le moment de son exportation en Occident. Ce long parcours a créé les occasions de l'émergence de plusieurs discours dont la présentation fait l'objet de cet article. La confrontation à la science a provoqué l'apparition du discours médical chinois moderne qui a la double particularité d'utiliser la langue contemporaine et d'avoir interrogé le sens des notions traditionnelles dans le contexte de la biologie. Il se distingue du discours traditionnel qui pendant des siècles a connu sa propre dynamique. Le dernier discours de l'acupuncture est le fruit d'une rencontre avec l'Occident où cette pratique a trouvé sa place dans l'arsenal thérapeutique et dans notre paysage mental.
Mots
clés :
Médecine traditionnelle chinoise, Acupuncture, Histoire, Occident, Chine,
Discours, Anthropologie.
Abstract
:
It is only recently during the XXth century that Chinese medicine becomes a
traditional medicine and that it has been exported. With this long story appear
different discourses on traditional medicine. An interest for scientific
theories in contemporary China leads to the elaboration of the present
discourse using modern Chinese and
analysing traditional notions in the context of biology. Taking into account
these peculiarities, it is possible to distinguish the modern talk from
traditional discourse written in ancient Chinese and which presents it's own
dynamic. The last discourse on traditional Chinese medicine has been created in
Europe, where acupuncture is considered as one of the non-conventional
medicines.
Key
words
:Traditional Chinese Medicine, Acupuncture, History, Discourse,
Anthropology.
Hommages au Dr
Didier Fourmont, fondateur de la revue Méridiens en
1968
Très Cher Didier,
Au début de cet été, au milieu de ce mois de juillet mille
neuf cent quatre vingt dix sept, moment de fête nationale tu as choisi de
déménager. Je suis persuadé qu'au moment où j'écris ces quelques lignes, tu
explores déjà de nouveaux «Trajets».
Tu as préféré passer directement des «Méridiens» chinois aux «parcours» de l'Au-delà après avoir
effleuré ceux de l'informatique. Sur cette Terre, délicat, tu es passé envahi
par le «Feu», la passion, la
curiosité et animé en permanence d'un très fort besoin de communiquer.
Tu étais emprunt de perfectionnisme, exigeant avec toi-même comme avec ton entourage. Tu aimais la beauté d'un mot, d'une phrase, d'un poème, d'un comportement... : Ça c'était TOI.
Tu aimais aussi provoquer la vie. Cette dernière, par la maladie, plusieurs mois avant ton «Grand Voyage» t'enleva l'élément le plus important de la communication que tu utilisais avec excellence : ta voix. Les derniers mois, bien que très handicapé, tu as su rapidement t'adapter aux nouvelles technologies et communiquer toujours aussi bien qu'avant. Tu naviguais avec beaucoup d'aisance entre ton fax, tes micro-ordinateurs et tes imprimantes. Mais rien ne pouvais jamais t'arrêter, tu aimais les défis que tu affrontais toujours avec détermination et charme, tant dans ta vie privée que professionnelle.
Ta détermination a permis à notre revue «Méridiens» de naître il y a trente ans et d'exister encore aujourd'hui avec la même qualité : au nom de tous nos Adhérents un grand Merci.
Ton charme se manifestait très souvent, avec à propos, par des citations littéraires, des récits ou des créations de poèmes que tu nous adressais comme ça.
Tu étais gai et parfois pour mieux séduire ton entourage tu racontais de petites histoires drôles, un peu coquines mais toujours très élégantes. Tu étais jeune. En venant te voir je remarquais toujours cette belle rose rouge sur ton bureau, face à toi, légèrement sur ta droite et la photo de ta Femme sur une étagère à ta gauche et un peu en hauteur.
Les deux semblaient
associées pour toujours. Elles inondaient d'harmonie la pièce dans
laquelle tu as travaillé sans relâche jusqu'à ton «Départ». Mais es-tu
complètement parti ? Quand je pense
à toi les mêmes mots me viennent toujours à l'esprit : communication, détermination, exigence, érudition, charme,
élégance, gaîté, courage, fidélité.
Ces mêmes mots m'assurent que là où tu es, sur les
«chemins» que tu as décidé de
suivre actuellement tu es toujours le même, identique à l'image que tu as nous
laissée. Au revoir et, s'il te plaît, fais
nous signe
François BIBAULT
Notre ami Didier Fourmont s'est éteint le 15 juillet
dernier à l'âge de 84 ans, après
avoir dirigé jusqu'au bout la revue «Méridiens».
Normand de souche, il avait grandi dans la commune de
Thury-Harcourt, en Calvados, avant de faire ses études secondaires à Caen, à
l'ombre des deux célèbres Abbayes. Il termina ses études de médecine à Paris et
peu de temps après, la guerre venue, il fut affecté médecin militaire dans
l'Oise, où il rendit les plus grands services. Ses goûts l'orientèrent ensuite
vers l'Acupuncture, ce qui lui permit de faire
la connaissance de Georges Soulié de Morant.
Très actif dans le mouvement de notre discipline, il fonda
«Méridiens» en 1968, avec les encouragements du Médecin Général Georges Cantoni.
Cette publication fut bientôt connue de tout le milieu professionnel français et
diffusée dans de nombreux pays étrangers. Sous sa direction, elle fut maintenue
dans sa vocation de fidélité aux sources chinoises ainsi que d'ouverture aux travaux scientifiques et
cliniques. Lui- même y donna de nombreux articles, jusqu'à ce tout dernier
numéro 109 paru seulement quelques jours avant sa mort, où il relate son
expérience d'acupuncteur-ostéopathe. Didier Fourmont s'était aussi beaucoup
intéressé à l'Homéopathie. Il voyait dans cette thérapeutique un excellent
complément à l'Acupuncture, pour «traiter le terrain» et comprendre plus à fond
le tempérament de ses malades. Il en avait acquit le goût des noms botaniques et
de l'herborisation. Mais il avait marqué ses distances avec l'«homéosiniatrie»,
fabriquée à l'emporte-pièce, sous ses yeux.
Derrière le médecin se profilait un artiste. Sa passion
pour la peinture avait failli le conduire aux Beaux-Arts plutôt qu'à la faculté
de Médecine. Il aimait Degas, les Impressionnistes mais appréciait aussi la
sculpture et tous les arts plastiques. Son sens du Beau s'exprimait en toutes occasions.
Ainsi n'ai-je pas oublié les lettres qu'il
m'adressait en Asie au cours des années 80, toujours ornées des plus
beaux timbres de collections... C'était par ailleurs un pianiste émérite, qui
gardait le souvenir d'avoir un jour été accompagné par l'orchestre de Ray
Ventura !
Ceux qui l'ont fréquenté et ont eu l'honneur d'être de ses amis garderont l'image d'une solidité et d'une fidélité à toute épreuve, doublée d'une écoute attentive aux idées et aux besoins d'autrui. Homme réservé et pragmatique, Didier Fourmont était peu enclin à la spéculation philosophique. Pourtant toute sa conduite fut celle d'un Stoïcien. Il eut au plus haut point le sens de ce que les Anciens appelaient la «limite», sachant circonscrire en toutes circonstances le domaine dans lequel il savait pouvoir être lui-même. Aussi sa vie fut-elle heureuse. Une phrase de Shakespeare - qu'il crut être jusqu'à l'avant-veille de sa mort du «Paradis perdu» de Milton ! - l'avait profondément marqué dans sa jeunesse : «Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs». Il n'avait depuis, jamais pu croire que la scène où lui-même figurait méritât d'être comparée au spectacle souvent douloureux qu'offre le vaste univers. Et s'il conçut la force du Destin, que confirmait à ses yeux le déterminisme astrologique, il n'en ressentit jamais la moindre angoisse. Face à la maladie qui l'assaillait par vagues successives depuis dix ans, ces traits de caractère se confirmèrent. Tous ses amis et proches en reçurent alors une très forte et inoubliable leçon de vie.
Il repose désormais dans la petite cité d'Attichy où
pendant plus d'un demi-siècle il aima se reposer des fatigues de sa vie
professionnelle. Avec lui , c'est un grand de l'Acupuncture et aussi quelque
chose du meilleur de la douce et vieille France qui nous
quittent.
Jean-Claude
DUBOIS
Je connaissais Didier Fourmont depuis presque 25 ans ; il
était le dernier représentant d'une génération qui aura marqué l'histoire de
l'Acupuncture en France et en Europe. Je n'étais pas intime avec Didier ; la
différence d'âge et le respect que je lui portais ne le permettait pas. Il
n'empêche qu'à côtoyer des êtres aussi longtemps et aussi régulièrement on ne
peut pas ne pas être profondément marqué par leur personnalité.
Dans notre société déjà si ancienne, il faisait figure de
sage. La finesse et la qualité de ses interventions étaient légendaires. Les
réunions avec les grands anciens : Georges Grall, Monsieur Laval, Georges
Cantoni, Henri Olivo restent, dans ma mémoire de jeune acupuncteur de l'époque,
un émerveillement d'observation de ces personnalités si différentes, si fortes
et si attachantes. Bien sûr, ils n'étaient pas toujours d'accord mais ils
avaient en commun cette vraie passion pour l'Acupuncture qui les faisait
toujours se réunir et c'était admirable.
J'admirais aussi le jugement de Didier sur les évènements
et les êtres. Au cours de conversations nous avions retrouvé des origines
communes en Normandie et c'est avec joie que j'avais appris qu'il avait bien
connu ma famille ainsi que l'atelier d'artiste de ma grand-mère à l'hôtel de
Mondrainville à Caen. L'art de peser le pour et le contre du caractère normand
était bien présent dans le sien et j'y étais particulièrement sensible ;
peut-être cela a-t-il pesé dans son intérêt pour les variations du yin et du
yang en toutes choses.
On dit parfois qu'un ancien qui disparaît c'est une
bibliothèque qui brûle.
Cela ne peut s'appliquer mieux qu'à Didier tant son
érudition était grande.
Je me souviens l'avoir entendu dire sans forfanterie aucune et avec la simplicité qui le caractérisait que tout ce qui avait paru depuis toujours sur l'Acupuncture en France, il l'avait lu. Je ne pense pas qu'aucun autre puisse jamais en dire autant. Heureusement son oeuvre reste et tout ce qu'il a fait pour réaliser la plus belle revue d'acupuncture occidentale et qui est reconnue comme telle en Chine même persistera.
Olivier
DUHAMEL
Je garde du Docteur Fourmont l'image d'un homme
remarquablement savant, détenteur d'une connaissance, d'une sagesse et d'une
érudition qui, je m'en souviens encore, impressionnaient grandement le jeune
médecin que j'étais. J'étais particulièrement admiratif de l'élégance et de
l'aisance raffinée par lesquels il faisait de notre langue un art. En fait, je
me sentais si pauvre à ses côtés, que j'osais à peine m'exprimer face à lui, ou
dans la revue Méridiens, son enfant.
Pour cette raison peut être, nous n'avons jamais développé
de relation véritablement personnelle. Par contre, j'approchais son esprit à
travers l'un de ses amis les plus intimes, le docteur Henri Olivo, dont j'étais
également très proche. L'amitié et la complicité qui reliaient les deux hommes
me ravissaient.
Bien qu'ayant rencontré le docteur Nogier, père de
l'auriculo-médecine, le docteur Fourmont ne s'intéressa à ses travaux qu'après
qu'Henri et moi-même lui en ayons parlé. Dès lors, intrigué par cette méthode,
et pendant de longues années,
il me demandait de rédiger
des communications. Il essayait de comparer ses perceptions d'ostéopathe et
d'acupuncteur à mon ressenti d'auriculomédecin et me dit un jour : «Finalement,
peu importe la méthode, mais il importe d'en avoir une».
Ce qui me trouble le plus aujourd'hui, c'est de réaliser
que nous ne nous sommes véritablement rencontrés que quelques temps avant son
départ. Parce qu'il me reprocha soudain de l'avoir toujours vouvoyé, m'exhortant
amicalement à le tutoyer et à l'appeler Didier comme tous ceux de l'école, il
brisa le mythe qui m'éloignait de lui, ouvrant instantanément mes yeux sur l'ami
sincère et le guide qu'il avait toujours été.
Je veux croire que cette attitude fut le cadeau d'adieu d'un aîné à un cadet encore attaché à quelque idée orgueilleuse de pauvreté...
Je souris en imaginant
nos deux compères réunis, Henri Olivo et Didier Fourmont, rire affectueusement,
à présent, de nos méandres et complications de petits ego...
Didier, sache que je n'ai pas oublié la requête insistante
que tu me fis, concernant la rédaction d'un article de plusieurs pages sur
l'auriculomédecine, et que je l'honorerai. Je
te dis, à bientôt ?
Michel ECHE
Rideaux de velours rouge fermés, cercle de lumière de la
lampe qui éclaire le manuscrit qu'il prépare dans le silence de la nuit,
concentration paisible, image inoubliable d'un
Père à l'étude après sa journée de consultations. Partir dans les idées des autres, s'y intéresser vraiment
et vouloir les faire aboutir au mieux afin de les publier. Comprendre et faire
connaître dans un réel esprit d'indépendance. Il fallait bien fonder
Méridiens.
Expérience
stimulante, assortie des tracasseries qui accompagnent inévitablement le travail
éditorial. Le prochain numéro sera-t-il prêt à temps, suffisamment équilibré
?
Moment de gestation d'un article rédigé personnellement. Le
texte est revu mille fois, accompagné des dessins qui sortent de ses grosses
mains solides.
Conversations passionnées sur l'emploi des mots et les meilleures tournures pour ajuster l'idée exprimée. Les dictionnaires ne le quittent pas et la recherche d'un terme est l'occasion de détours enthousiastes qui peuvent durer des heures.
La préoccupation d'une
revue ne laisse jamais au repos celui qui l'anime. Mais dans les moments plus
difficiles, elle devient le moyen naturel d'oublier le présent pour se projeter
vers le meilleur.
Didier s'est installé pour son dernier été dans sa campagne et, à peine arrivé, a mis en place son ordinateur dont il est si content. Méridiens est posé sur son bureau. Demain, il pourra entreprendre la préparation du numéro anniversaire auquel il tient tant et auquel il va travailler en regardant son jardin.
Mais tout se fige et la Mort en décide autrement.
Il ne la craignait
pas.
Martine FOURMONT , Véronique GIRE-FOURMONT
Reste avec nous,
Didier ! Au cœur de l'été dernier, nous
t'avons donc rejoint dans ton paisible village d'Attichy, où tu avais ta petite
maison et son joli jardin. Puis
nous t'avons accompagné à l'église. Là, nous
t'avons entouré de notre prière. Nous t'avons béni et nous nous en sommes
retournés à nos travaux, très apaisés et très proches de ta famille.
Reste avec nous, Didier Fourmont, notre bon docteur, car le
soir vient, aussi pour nous, et déjà le jour baisse. Un gentilhomme, un gentilhomme de France, un travailleur
acharné, chercheur passionné en Acupuncture, fidèle à ses amis, dévoué à ceux
qui recevaient de lui le traitement attentif de leurs maux, de leurs malaises et
du mal de vivre. Tel était
l'infatigable, l'indéfectible Docteur Fourmont.
Avec Henri et Marie-Blanche Olivo, il a fondé la superbe
revue Méridiens qu'il a soutenue et dirigée sans faiblesse, trente ans durant.
Là, et à l'E.F.A., dont il était l'un des piliers, se sont formés et instruits
tant de jeunes médecins.
Didier, reste avec nous, puisque, l'âge aidant, nous nous
fixons plus résolument sur l'essentiel. Nous te le demandons. Même, depuis
quelques années, privé du pouvoir de la parole, tu as continué à t'occuper de
nous. Il ne me semble ni présomptueux ni imaginaire de poursuivre avec toi la
relation discrète et chaleureuse que nous avions scellée.
Claude Larre
SJ.
L'homme à la rose
Le véritable «homme à la
rose» c'était lui. Sur son bureau,
une unique fleur, immuablement identique, faisait sa joie et l'admiration de ses
amis et patients.
«Une rose de mon jardin», disait-il et son regard se posait
sur elle avec tendresse. Cette rose que sa famille jusqu'à la fin de sa vie
n'oublia jamais de renouveler.
Henri Olivo avait été son disciple et son ami. Un lien d'estime les unissait qui laissait s'exprimer leurs convictions, leurs doutes et leurs projets en toute sincérité. Un échange quasi quotidien, longtemps verbal, puis relayé par fax a renforcé cette véritable complicité entre eux. Après le décès de mon mari, nous avons tous les deux continué cette correspondance inachevée. Son immense humanité, son courage, ses anecdotes spirituelles et son humour, m'ont nourrie et aidée durant de longs mois.
A 84 ans, Didier s'était
informatisé. Sa ténacité de Viking, son énergie de fer, sa volonté d'appréhender
le siècle nous ont donné à tous une leçon qui restera gravée dans nos mémoires.
Cher Didier, pour le trentième
anniversaire de votre Revue, nous sommes en communion avec vous. Jamais ces belles années ne
s'oublieront.
Marie Blanche Olivo
A Didier
FOURMONT
C'est en 1968 que j'ai fait la connaissance de Georges
CANTONI qui m'avais introduit au sein de l'A.S.M.A.F. C'est donc à cette époque que j'ai également connu Didier
FOURMONT.
Didier FOURMONT nous a quittés cette année, et je tenais à
lui dédier ces quelques lignes, en souvenir des excellentes relations qui se
sont nouées au fil des années.
Je voulais ici apporter mon témoignage quant à sa volonté
de maintenir au plus haut la qualité de «Méridiens» , et l'intérêt qu'il portait
à l'orientation scientifique de cette revue
qui était son oeuvre.
Didier FOURMONT a toujours eu le souci de promouvoir la
partie recherche que nous avions menée, conjointement avec Georges CANTONI, que
j'ai essayé de continuer seul après le décès de ce dernier, puis plus récemment
avec Marc PIQUEMAL, et naturellement Il tenait à en suivre l'évolution.
J'ai beaucoup apprécié la confiance qu'il
m'avait accordée quant à mes jugements purement techniques sur la valeur
d'équipements d'assistance et leur développement au cours de ces trente
dernières années.
Didier FOURMONT disait lui-même qu'il n'était pas
technicien, mais il a grandement oeuvré afin que les bases scientifiques de
l'acupuncture soient reconnues.
Aussi, le plus bel hommage que je puisse lui rendre, est de
continuer d'avancer dans cette voie, afin de progresser vers la légitimité de
l'acupuncture en tant que médecine
scientifique à part entière, et non ésotérique.
Jacques PONTIGNY
Didier FOURMONT ! Ce fut pour commencer un nom souvent entendu au sein de ma famille, un médecin miracle pour une mère dont les maux restaient rebelles aux thérapies médicales classiques des sommités de la région. Par le hasard de la croisée des chemins, ce fut, longtemps après, ce nom à consonance connu qui essayait de faire partager les mystères de l'acupuncture au sein de cette école dont les cours se déroulaient aux Invalides et vers laquelle je m'étais tourné après une expérience acupuncturale "néophytale" réussie à ma surprise et l'achat de quelques livres impénétrables (les Chamfrault pour ne rien cacher) ne me donnant pas les explications rationnelles désirées. Il y était entouré par des personnages inoubliables Olivo, Grall, Choain et tant d'autres qui professaient dans cette magnifique salle des Invalides où Parmentier avait travaillé.
Le cycle de conférence à cette époque durait un an.
Peu doué mais curieux j'en devint un pilier. Fourmont, entre autres, se
transforma de "professeur" en Maître non pas tant par ses exposés que je
commençais à connaître mais par les conversations qui se déroulaient après les
cours dans les cafés pour une pause bien gagnée menant rapidement aux
premières heures du lendemain matin au grand
dam des femmes respectives qui s'inquiétaient. Là, littérature, politique,
philosophie, sciences, gastronomie, Histoire, fusaient de tout bords et
s'intriquaient avec des cas de malades, les difficiles évidemment, les points
utiles...., les souvenirs de chacun. Fourmont y excellait, c'était entre autre
l'homme du mot juste, du mot convenant à la situation, notamment lorsqu'on
faisait état des articles devant figurer dans les statuts de la Société, celui
vers lequel on se tournait et qui était écouté. Sa plus belle oeuvre restera
notre revue Méridiens. Il lui fit don de sa personne; il en imposa la qualité de
sa présentation et de ses articles prenant
parfois le risque de se faire quelques ennemis quand la qualité ne correspondait
pas à son attente.
Merci Didier pour tout ce que tu as donné, pour tout ce que
tu as transmis,
pour ta disponibilité constante ... et pour ton
amitié.
Michel MARY
Enfant de Normandie, au caractère buriné à la pointe du
Hoc, acupuncteur de la première époque, le docteur Didier Fourmont était la
mémoire vivante de l'Association Scientifique des Médecins Acupuncteurs de
France (A.S.M.A.F.) et de l'École Française d'Acupuncture (E.F.A.).
Il a pris en charge le secrétariat général de l'ASMAF, après l'échec d'une tentative de regroupement, en 1967, entre la Société d'Acupuncture (fondée par les Drs Khoubesserian, Ferreyrolles et Flandin) et la Société Française d'Acupuncture (créée par le Dr de la Füye). Il a été, en 1977, à l'origine de la création de l'École Française d'Acupuncture... «considérant que les cours n'étaient, statutairement, pas une activité du ressort de l'ASMAF, et que d'autre part, EFA présentait l'avantage d'être une raison sociale plus explicite»... .
L'EFA a formé plusieurs
centaines de médecins acupuncteurs. Elle est toujours le cadre dans lequel nous
avons nos réunions de perfectionnement.
En 1968, à l'âge de 55 ans, en créant «Méridiens», il met
au service de ses confrères ses qualités d'organisateur et de lettré. Revue
d'acupuncture en langue française de renom international, cet instrument de
formation continue a d'emblée eu la forme et la mise en page sobre et élégante
que nous lui connaissons encore actuellement.
Sur trente années, c'est près de 500 articles {dont la liste
chronologique est donnée à la fin de ce numéro. NB Ce texte
comporte des extraits de télécopies reçues du Dr Didier Fourmont en 1996 et
1997}, des auteurs prestigieux, une majorité
de Français mais également des étrangers,
francophones ou non, dont des asiatiques, du Vietnam ou de
Chine.
Les abonnés sont répartis sur quatre continents et
comprennent des bibliothèques universitaires.
A côté d'articles portant sur des études traditionnelles et
cliniques, Méridiens comporte une importante rubrique scientifique. Didier
Fourmont appartenait en effet à la génération des acupuncteurs français qui ont
contribué à matérialiser la nature biophysique de l'acupuncture, apportant ainsi
une démonstration scientifique de la réalité de notre discipline. Les activités
du médecin général Cantoni et de Jacques Pontigny ont naturellement pris
l'aspect d'articles dans Méridiens avant d'être réunis sous forme de livres. Ce
courant irrigue toujours les pages de la revue.
La mort l'a surpris l'a surpris alors qu'il préparait le
numéro anniversaire (n° 110) marquant la 30° année d'existence de la
revue.
Recevant ses derniers patients peu avant son décès,
acupuncteur pendant plus de cinquante années, il a acquis une expérience
incomparable.
«Considérations sur le diagnostic étiologique et le
traitement des luxations récidivantes du maxillaire inférieur et des troubles de
l'articulé dentaire» aura été sa dernière communication aux Échanges Soulié de
Morant de Mars 97 (François Bibault lui prêtait sa voix. Le texte a été publié
dans le N° 109). Il rassemblait, en
juin/juillet derniers, une iconographie pour présenter une nouvelle
communication (pour la prochaine réunion du Procope) sur le traitement par
acupuncture des lésions arthrosiques et pré-arthrosiques du genou. Infatigable
praticien, inlassable communiquant ...
Il a démontré face aux épreuves que lui a imposées la vie
un courage et une pugnacité qui ont forcé notre admiration. Il y a quelques
années, après une nouvelle intervention, il a été définitivement privé de la
parole. Obligé de communiquer par écrit, le fax remplaçait le téléphone. Ses
textes étaient manuscrits, mais des névrites cervico-brachiales (d'origine
radique) ont petit à petit rendu son écriture difficile à lire. Il s'est alors
initié, à 84 ans, au traitement de texte sur ordinateur! Bien que convivial, cet
appareil ne se manie pas comme un stylo. Quelques semaines ont cependant suffi
pour que Didier Fourmont pilote sans «bug» majeur la machine et son logiciel. Libéré de la contrainte de lisibilité, il
rédigeait des textes que nous trouvions souvent le matin sur nos
télécopieurs.
Pendant des années, Henri Olivo a été son correspondant
privilégié, les échanges étaient quotidiens. Après le décès d'Henri, début 96,
ce fut Jean Choain qu'il connaissait «depuis plus de 50 ans, depuis les réunions
de la Société d'Acupuncture». Décédé en mai 97, il a précédé Didier de quelques
semaines sur le chemin qui mène au paradis des acupuncteurs. «Ayant perdu la
voix et récemment l'écriture, le fax et lui (l'ordinateur, NDLR), sont devenus
mes seuls moyens de rompre un isolement qui serait insupportable si j'offrais
quelques dispositions à la tristesse et à l'angoisse. Heureusement, je compte
bien sauvegarder mon optimisme jusqu'à ma fin, car il est érigé en moi sur une
base solide de scepticisme et de doute. Une sorte d' «à quoi bon» très Montaigne
assaisonné d'une pincée de Lao tse, ce qui fait que dans les pires moments -
sauf bien entendu, ceux qu'il m'est arrivé de connaître, où la douleur, intense
et durable, ne laisse aucune place à la pensée - je me dis toujours que c'est le
destin qui m'a été imparti, qu'il faut accepter sans révolte et sans se départir
de la forte dose d'humour que je sens chevillée en moi.»
Ayant compris le potentiel des autoroutes de l'informations pour notre discipline, il était enthousiaste à l'idée de la création d'un site Internet EFA. Il avait donné son appui à ce projet et suivi chaque étape de sa préparation.
Didier Fourmont
partageait avec Henri Olivo une passion pour l'astrologie : ... «il ne faut
considérer le schéma du thème astral que comme un support mancique à l'instar
des lignes de la main ou du marc de café, à ceci près que l'astrologie permet
une avancée passionnante dans la psychologie en nous livrant les clés de nos
contradictions apparentes.» «Nous ne sommes que les acteurs d'une pièce dont le
texte est déjà écrit, et la seule liberté qui nous reste est de le déclamer à
notre guise.»
Il aimait les roses (passion qu'il partageait avec sa femme
et toute sa famille) «... nous avons compté, il y a 20 ans, jusqu'à 600 rosiers
dans notre jardin. J'aimais composer des
bouquets, c'est ainsi que j'ai découvert que la St Exupéry, dont le bleu un peu
éteint porte au spleen, prend toute sa valeur lorsqu'elle est introduite dans un
bouquet de roses éclatant de lumière. Sans doute apporte t-elle sa note de Yin
dans ce bouquet flamboyant de Yang.»
Nous adressons au vieux maître qui nous quitte un
respectueux salut. Nous le remercions pour l'exemple d'une rigueur jamais prise
en défaut: «La rigueur est de rigueur». Nous continuerons à agir pour élever
l'acupuncture, aux racines plongées dans la tradition chinoise antique, au rang
d'une discipline médicale acceptée et intégrée dans notre système de santé
occidental.
Patrick
Sautreuil
Je ne sais pas écrire un article, mais je souhaite dire
combien j'appréciais le Docteur Didier Fourmont.
Je trouvais en lui toute la chaleur humaine qui m'est si
précieuse, chaleur qui rayonne et fait du bien à tout
l'entourage.
Son esprit et sa pensée, très riches, donnaient un intérêt
passionnant à toutes les conversations que j'ai eues avec
lui.
Et puis, je lui porte une grande gratitude pour tout ce
qu'il a fait pour l'œuvre et le souvenir de mon père, George Soulié de Morant,
qui me tiennent tant à cœur, en particulier par la publication du N° 79 de
Méridiens, entièrement consacré à lui*.
Je garde donc au Docteur Fourmont mon admiration, ma
reconnaissance et mon attachement.
Evelyn Soulié de Morant
* George Soulié
de Morant ou l'épopée de l'acupuncture moderne par le Docteur
Wei Thiong Chan Way Tim, Méridiens N° 79, 4° trimestre
1987
Didier FOURMONT sut mettre en musique et orchestrer ses
dons innés : Intelligence, mémoire, vitalité et sens aigu de l'observation, pour
devenir un médecin acupuncteur, homéopathe subtil et novateur, en même temps
qu'un humaniste teinté d'alchimie.
Il fut le fondateur de «MÉRIDIENS».
Si le contenu de cette publication semestrielle est d'une
qualité semblable au contenant : qualité du papier, impression, mise en
page, qualité synoptique, il est permis de penser que les médecins
reçoivent chez eux deux chefs
d'œuvres par
an.
Il y a, parmi les lecteurs de MÉRIDIENS des scientifiques
rigoureux, des philosophes spiritualistes ou non, les uns et les autres
préconisant, tout à la fois, des potions anciennes et des découvertes récentes
sans jamais se départir d'un bel empirisme sans lequel la Médecine ne serait
pas.
C'est grâce à Didier Fourmont et à quelques uns de ses
confrères que perdure et se réalise MÉRIDIENS à raison de deux incubations
annuelles.
MÉRIDIEN, au singulier, devient zénith : ce qu'il y a de plus haut. Les
hommes de ces cahiers sont bien trop modestes pour commettre une telle
omission.
Gérard Tavera -
Paule Soria Tavera
Comme le disait Wang Fuzhi qui vivait à l'époque de la
dynastie des Ming finissante, la vie est faite de rencontres. La décision de
soumettre à publication un article dans la revue «Méridiens» voilà déjà quelques
années, a créé l'occasion d'un échange de lettres qui m'a offert le privilège de
découvrir un homme et un esprit merveilleux. Une belle écriture, un style
rigoureux et agréable, un goût commun pour le travail de la langue et
l'histoire, une curiosité délicate de l'autre comme le sentiment partagé de la
nécessité d'inscrire le message de l'acupuncture entre tradition et modernité
scientifique ont opéré un rapprochement qui s'est accentué avec le temps. La
rencontre des mains et des regards devaient attendre une soirée réunissant des
membres de l'Association et de l'Institut Ricci avant que ne viennent les journées du Procope. Il est alors devenu
simple de comprendre la qualité de la revue «Méridiens» et la puissance du
souffle qui anime l'Acupuncture en France. Que dire de plus quand petit artisan,
on rencontre un maître, si ce n'est que la rencontre ouvre les portes d'un
chemin sur lequel il suffit de se laisser glisser.
Patrick TRIADOU