MÉRIDIENS, 1998 - N° 110 
 
LES TEMPS DU DISCOURS DE LA MÉDECINE TRADITIONNELLE CHINOISE

Dr Patrick TRIADOU

 Résumé : La médecine chinoise n'est devenue traditionnelle que récemment au cours de ce siècle, qui a aussi été le moment de son exportation en Occident. Ce long parcours a créé les occasions de l'émergence de plusieurs discours dont la présentation fait l'objet de cet article. La confrontation à la science a provoqué l'apparition du discours médical chinois moderne qui a la double particularité d'utiliser la langue contemporaine et d'avoir interrogé le sens des notions traditionnelles dans le contexte de la biologie. Il se distingue du discours traditionnel qui pendant des siècles a connu sa propre dynamique. Le dernier discours de l'acupuncture est le fruit d'une rencontre avec l'Occident où cette pratique a trouvé sa place dans l'arsenal thérapeutique et dans notre paysage mental.

Mots clés : Médecine traditionnelle chinoise, Acupuncture, Histoire, Occident, Chine, Discours, Anthropologie. 

Abstract : It is only recently during the XXth century that Chinese medicine becomes a traditional medicine and that it has been exported. With this long story appear different discourses on traditional medicine. An interest for scientific theories in contemporary China leads to the elaboration of the present discourse  using modern Chinese and analysing traditional notions in the context of biology. Taking into account these peculiarities, it is possible to distinguish the modern talk from traditional discourse written in ancient Chinese and which presents it's own dynamic. The last discourse on traditional Chinese medicine has been created in Europe, where acupuncture is considered as one of the non-conventional medicines.

Key words :Traditional Chinese Medicine, Acupuncture, History, Discourse, Anthropology.

 

Hommages au Dr Didier Fourmont, fondateur de la revue Méridiens en 1968

Très Cher Didier, 

Au début de cet été, au milieu de ce mois de juillet mille neuf cent quatre vingt dix sept, moment de fête nationale tu as choisi de déménager. Je suis persuadé qu'au moment où j'écris ces quelques lignes, tu explores déjà  de nouveaux  «Trajets».

Tu as préféré passer directement des  «Méridiens» chinois aux  «parcours» de l'Au-delà après avoir effleuré ceux de l'informatique. Sur cette Terre, délicat, tu es passé envahi par le  «Feu», la passion, la curiosité et animé en permanence d'un très fort  besoin de communiquer. 

Tu étais emprunt de perfectionnisme, exigeant avec toi-même comme avec ton entourage. Tu aimais la beauté d'un mot, d'une phrase, d'un poème, d'un comportement... : Ça c'était TOI.

Tu aimais aussi provoquer la vie. Cette dernière, par la maladie, plusieurs mois avant ton «Grand Voyage» t'enleva l'élément le plus important de la communication que tu utilisais avec excellence : ta voix. Les derniers mois, bien que très handicapé, tu as su rapidement t'adapter aux nouvelles technologies et communiquer toujours aussi bien qu'avant. Tu naviguais avec beaucoup d'aisance entre ton fax, tes micro-ordinateurs et tes imprimantes. Mais rien ne pouvais jamais t'arrêter, tu aimais les défis que tu affrontais toujours avec détermination et charme, tant dans ta vie privée que professionnelle.

Ta détermination a permis à notre revue «Méridiens» de naître il y a trente ans et d'exister encore aujourd'hui avec la même qualité : au nom de tous nos Adhérents un grand Merci.

Ton charme se manifestait très souvent, avec à propos, par des citations littéraires, des récits ou des créations de poèmes que tu nous adressais comme ça.

Tu étais gai et parfois pour mieux séduire ton entourage tu racontais de petites histoires drôles, un peu coquines mais toujours très élégantes. Tu étais jeune. En venant te voir je remarquais toujours cette belle rose rouge sur ton bureau, face à toi, légèrement sur ta droite et la photo de ta Femme sur une étagère à ta gauche et un peu en hauteur. 

Les deux semblaient  associées pour toujours. Elles inondaient d'harmonie la pièce dans laquelle tu as travaillé sans relâche jusqu'à ton «Départ». Mais es-tu complètement parti ?  Quand je pense à toi les mêmes mots me viennent toujours à l'esprit : communication, détermination, exigence, érudition, charme, élégance, gaîté, courage, fidélité.

Ces mêmes mots m'assurent que là où tu es, sur les «chemins» que tu  as décidé de suivre actuellement tu es toujours le même, identique à l'image que tu as nous laissée. Au revoir et, s'il te plaît, fais nous signe 

François BIBAULT

 

 

Notre ami Didier Fourmont s'est éteint le 15 juillet dernier à l'âge de 84  ans, après avoir dirigé jusqu'au bout la revue «Méridiens». 

Normand de souche, il avait grandi dans la commune de Thury-Harcourt, en Calvados, avant de faire ses études secondaires à Caen, à l'ombre des deux célèbres Abbayes. Il termina ses études de médecine à Paris et peu de temps après, la guerre venue, il fut affecté médecin militaire dans l'Oise, où il rendit les plus grands services. Ses goûts l'orientèrent ensuite vers l'Acupuncture, ce qui lui permit de faire la connaissance de Georges Soulié de Morant.

Très actif dans le mouvement de notre discipline, il fonda «Méridiens» en 1968, avec les encouragements du Médecin Général Georges Cantoni. Cette publication fut bientôt connue de tout le milieu professionnel français et diffusée dans de nombreux pays étrangers. Sous sa direction, elle fut maintenue dans sa vocation de fidélité aux sources chinoises ainsi que  d'ouverture aux travaux scientifiques et cliniques. Lui- même y donna de nombreux articles, jusqu'à ce tout dernier numéro 109 paru seulement quelques jours avant sa mort, où il relate son expérience d'acupuncteur-ostéopathe. Didier Fourmont s'était aussi beaucoup intéressé à l'Homéopathie. Il voyait dans cette thérapeutique un excellent complément à l'Acupuncture, pour «traiter le terrain» et comprendre plus à fond le tempérament de ses malades. Il en avait acquit le goût des noms botaniques et de l'herborisation. Mais il avait marqué ses distances avec l'«homéosiniatrie», fabriquée à l'emporte-pièce, sous ses yeux.

Derrière le médecin se profilait un artiste. Sa passion pour la peinture avait failli le conduire aux Beaux-Arts plutôt qu'à la faculté de Médecine. Il aimait Degas, les Impressionnistes mais appréciait aussi la sculpture et tous les arts plastiques. Son sens  du Beau s'exprimait en toutes occasions. Ainsi n'ai-je pas oublié les lettres qu'il  m'adressait en Asie au cours des années 80, toujours ornées des plus beaux timbres de collections... C'était par ailleurs un pianiste émérite, qui gardait le souvenir d'avoir un jour été accompagné par l'orchestre de Ray Ventura ! 

Ceux qui l'ont fréquenté et ont eu l'honneur d'être de ses amis garderont l'image d'une solidité et d'une fidélité à toute épreuve, doublée d'une écoute attentive aux idées et aux besoins d'autrui. Homme réservé et pragmatique, Didier Fourmont était peu enclin à la spéculation philosophique. Pourtant toute sa conduite fut celle d'un Stoïcien. Il eut au plus haut point le sens de ce que les Anciens appelaient la «limite», sachant circonscrire en toutes circonstances le domaine dans lequel il  savait pouvoir être lui-même. Aussi sa vie fut-elle heureuse. Une phrase de Shakespeare - qu'il crut être jusqu'à l'avant-veille de sa mort du «Paradis perdu» de Milton ! - l'avait profondément marqué dans sa  jeunesse : «Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs». Il n'avait depuis, jamais pu croire que la scène où lui-même figurait méritât d'être comparée au spectacle souvent douloureux qu'offre le vaste univers. Et s'il conçut la force du Destin, que confirmait à ses yeux le déterminisme astrologique, il n'en ressentit jamais la moindre angoisse. Face à la maladie qui l'assaillait par vagues successives depuis dix ans, ces traits de caractère se confirmèrent. Tous ses amis et proches en reçurent alors une très forte et inoubliable leçon de vie.

Il repose désormais dans la petite cité d'Attichy où pendant plus d'un demi-siècle il aima se reposer des fatigues de sa vie professionnelle. Avec lui , c'est un grand de l'Acupuncture et aussi quelque chose du meilleur de la douce et vieille France qui nous quittent.

 Jean-Claude DUBOIS

 

 

Je connaissais Didier Fourmont depuis presque 25 ans ; il était le dernier représentant d'une génération qui aura marqué l'histoire de l'Acupuncture en France et en Europe. Je n'étais pas intime avec Didier ; la différence d'âge et le respect que je lui portais ne le permettait pas. Il n'empêche qu'à côtoyer des êtres aussi longtemps et aussi régulièrement on ne peut pas ne pas être profondément marqué par leur personnalité.

Dans notre société déjà si ancienne, il faisait figure de sage. La finesse et la qualité de ses interventions étaient légendaires. Les réunions avec les grands anciens : Georges Grall, Monsieur Laval, Georges Cantoni, Henri Olivo restent, dans ma mémoire de jeune acupuncteur de l'époque, un émerveillement d'observation de ces personnalités si différentes, si fortes et si attachantes. Bien sûr, ils n'étaient pas toujours d'accord mais ils avaient en commun cette vraie passion pour l'Acupuncture qui les faisait toujours se réunir et c'était admirable. 

J'admirais aussi le jugement de Didier sur les évènements et les êtres. Au cours de conversations nous avions retrouvé des origines communes en Normandie et c'est avec joie que j'avais appris qu'il avait bien connu ma famille ainsi que l'atelier d'artiste de ma grand-mère à l'hôtel de Mondrainville à Caen. L'art de peser le pour et le contre du caractère normand était bien présent dans le sien et j'y étais particulièrement sensible ; peut-être cela a-t-il pesé dans son intérêt pour les variations du yin et du yang en toutes choses. 

On dit parfois qu'un ancien qui disparaît c'est une bibliothèque qui brûle.

Cela ne peut s'appliquer mieux qu'à Didier tant son érudition était grande.

Je me souviens l'avoir entendu dire sans forfanterie aucune et avec la simplicité qui le caractérisait que tout ce qui avait paru depuis toujours sur l'Acupuncture en France, il l'avait lu. Je ne pense pas qu'aucun autre puisse jamais en dire autant. Heureusement son oeuvre reste et tout ce qu'il a fait pour réaliser la plus belle revue d'acupuncture occidentale et qui est reconnue comme telle en Chine même persistera.

Olivier DUHAMEL

 

 

Je garde du Docteur Fourmont l'image d'un homme remarquablement savant, détenteur d'une connaissance, d'une sagesse et d'une érudition qui, je m'en souviens encore, impressionnaient grandement le jeune médecin que j'étais. J'étais particulièrement admiratif de l'élégance et de l'aisance raffinée par lesquels il faisait de notre langue un art. En fait, je me sentais si pauvre à ses côtés, que j'osais à peine m'exprimer face à lui, ou dans la revue Méridiens, son enfant. 

Pour cette raison peut être, nous n'avons jamais développé de relation véritablement personnelle. Par contre, j'approchais son esprit à travers l'un de ses amis les plus intimes, le docteur Henri Olivo, dont j'étais également très proche. L'amitié et la complicité qui reliaient les deux hommes me ravissaient. 

Bien qu'ayant rencontré le docteur Nogier, père de l'auriculo-médecine, le docteur Fourmont ne s'intéressa à ses travaux qu'après qu'Henri et moi-même lui en ayons parlé. Dès lors, intrigué par cette méthode, et pendant de longues années,  il  me demandait de rédiger des communications. Il essayait de comparer ses perceptions d'ostéopathe et d'acupuncteur à mon ressenti d'auriculomédecin et me dit un jour : «Finalement, peu importe la méthode, mais il importe d'en avoir une». 

Ce qui me trouble le plus aujourd'hui, c'est de réaliser que nous ne nous sommes véritablement rencontrés que quelques temps avant son départ. Parce qu'il me reprocha soudain de l'avoir toujours vouvoyé, m'exhortant amicalement à le tutoyer et à l'appeler Didier comme tous ceux de l'école, il brisa le mythe qui m'éloignait de lui, ouvrant instantanément mes yeux sur l'ami sincère et le guide qu'il avait toujours été.

Je veux croire que cette attitude fut le cadeau d'adieu d'un aîné à un cadet encore attaché à quelque idée orgueilleuse de pauvreté...

Je souris en imaginant nos deux compères réunis, Henri Olivo et Didier Fourmont, rire affectueusement, à présent, de nos méandres et complications de petits ego... 

Didier, sache que je n'ai pas oublié la requête insistante que tu me fis, concernant la rédaction d'un article de plusieurs pages sur l'auriculomédecine, et que je l'honorerai. Je te dis, à bientôt ?

Michel ECHE

 

 

Rideaux de velours rouge fermés, cercle de lumière de la lampe qui éclaire le manuscrit qu'il prépare dans le silence de la nuit, concentration paisible, image inoubliable d'un Père à l'étude après sa journée de consultations.  Partir dans les idées des autres, s'y intéresser vraiment et vouloir les faire aboutir au mieux afin de les publier. Comprendre et faire connaître dans un réel esprit d'indépendance. Il fallait bien fonder Méridiens.

 Expérience stimulante, assortie des tracasseries qui accompagnent inévitablement le travail éditorial. Le prochain numéro sera-t-il prêt à temps, suffisamment équilibré ?

Moment de gestation d'un article rédigé personnellement. Le texte est revu mille fois, accompagné des dessins qui sortent de ses grosses mains solides.

Conversations passionnées sur l'emploi des mots et les meilleures tournures pour ajuster l'idée exprimée. Les dictionnaires ne le quittent pas et la recherche d'un terme est l'occasion de détours enthousiastes qui peuvent durer des heures.

La préoccupation d'une revue ne laisse jamais au repos celui qui l'anime. Mais dans les moments plus difficiles, elle devient le moyen naturel d'oublier le présent pour se projeter vers le meilleur.

Didier s'est installé pour son dernier été dans sa campagne et, à peine arrivé, a mis en place son ordinateur dont il est si content. Méridiens est posé sur son bureau. Demain, il pourra entreprendre la préparation du numéro anniversaire auquel il tient tant et auquel il va travailler en regardant son jardin.

Mais tout se fige et la Mort en décide autrement.

Il ne la craignait pas.

Martine FOURMONT , Véronique GIRE-FOURMONT

 

Reste avec nous,  Didier ! Au cœur de l'été dernier, nous t'avons donc rejoint dans ton paisible village d'Attichy, où tu avais ta petite maison et son joli jardin.  Puis nous t'avons accompagné à l'église. Là, nous t'avons entouré de notre prière. Nous t'avons béni et nous nous en sommes retournés à nos travaux, très apaisés et très proches de ta famille. 

Reste avec nous, Didier Fourmont, notre bon docteur, car le soir vient, aussi pour nous, et déjà le jour baisse. Un gentilhomme, un gentilhomme de France, un travailleur acharné, chercheur passionné en Acupuncture, fidèle à ses amis, dévoué à ceux qui recevaient de lui le traitement attentif de leurs maux, de leurs malaises et du mal de vivre.  Tel était l'infatigable, l'indéfectible Docteur Fourmont.

Avec Henri et Marie-Blanche Olivo, il a fondé la superbe revue Méridiens qu'il a soutenue et dirigée sans faiblesse, trente ans durant. Là, et à l'E.F.A., dont il était l'un des piliers, se sont formés et instruits tant de jeunes médecins.

Didier, reste avec nous, puisque, l'âge aidant, nous nous fixons plus résolument sur l'essentiel. Nous te le demandons. Même, depuis quelques années, privé du pouvoir de la parole, tu as continué à t'occuper de nous. Il ne me semble ni présomptueux ni imaginaire de poursuivre avec toi la relation discrète et chaleureuse que nous avions scellée.

Claude Larre  SJ.

 

 

L'homme à la rose

Le véritable «homme à la rose» c'était lui.  Sur son bureau, une unique fleur, immuablement identique, faisait sa joie et l'admiration de ses amis et patients. 

«Une rose de mon jardin», disait-il et son regard se posait sur elle avec tendresse. Cette rose que sa famille jusqu'à la fin de sa vie n'oublia jamais de renouveler. 

Henri Olivo avait été son disciple et son ami. Un lien d'estime les unissait qui laissait s'exprimer leurs convictions, leurs doutes et leurs projets en toute sincérité. Un échange quasi quotidien, longtemps verbal, puis relayé par fax a renforcé cette véritable complicité entre eux. Après le décès de mon mari, nous avons tous les deux continué cette correspondance inachevée. Son immense humanité, son courage, ses anecdotes spirituelles et son humour, m'ont nourrie et aidée durant de longs mois.

A 84 ans, Didier s'était informatisé. Sa ténacité de Viking, son énergie de fer, sa volonté d'appréhender le siècle nous ont donné à tous une leçon qui restera gravée dans nos mémoires. Cher Didier, pour le  trentième anniversaire de votre Revue, nous sommes en communion avec vous. Jamais ces belles années ne s'oublieront. 

Marie Blanche Olivo

 

 A Didier FOURMONT

C'est en 1968 que j'ai fait la connaissance de Georges CANTONI qui m'avais introduit au sein de l'A.S.M.A.F. C'est donc à cette époque que j'ai également connu Didier FOURMONT. 

Didier FOURMONT nous a quittés cette année, et je tenais à lui dédier ces quelques lignes, en souvenir des excellentes relations qui se sont nouées au fil des années. 

Je voulais ici apporter mon témoignage quant à sa volonté de maintenir au plus haut la qualité de «Méridiens» , et l'intérêt qu'il portait à l'orientation scientifique de cette revue qui était son oeuvre. 

Didier FOURMONT a toujours eu le souci de promouvoir la partie recherche que nous avions menée, conjointement avec Georges CANTONI, que j'ai essayé de continuer seul après le décès de ce dernier, puis plus récemment avec Marc PIQUEMAL, et naturellement Il tenait à en suivre l'évolution. J'ai beaucoup apprécié la confiance qu'il m'avait accordée quant à mes jugements purement techniques sur la valeur d'équipements d'assistance et leur développement au cours de ces trente dernières années. 

Didier FOURMONT disait lui-même qu'il n'était pas technicien, mais il a grandement oeuvré afin que les bases scientifiques de l'acupuncture soient reconnues. 

Aussi, le plus bel hommage que je puisse lui rendre, est de continuer d'avancer dans cette voie, afin de progresser vers la légitimité de l'acupuncture en tant que médecine scientifique à part entière, et non ésotérique. 

Jacques PONTIGNY

 

Didier FOURMONT ! Ce fut pour commencer un nom souvent entendu au sein de ma famille, un médecin miracle pour une mère dont les maux restaient rebelles aux thérapies médicales classiques des sommités de la région. Par le hasard de la croisée des chemins, ce fut, longtemps après, ce nom à consonance connu qui essayait de faire partager les mystères de l'acupuncture au sein de cette école dont les cours se déroulaient aux Invalides et vers laquelle je m'étais tourné après une expérience acupuncturale "néophytale" réussie à ma surprise et l'achat de quelques livres impénétrables (les Chamfrault pour ne rien cacher) ne me donnant pas les explications rationnelles désirées. Il y était entouré par des personnages inoubliables Olivo, Grall, Choain et tant d'autres qui professaient dans cette magnifique salle des Invalides où Parmentier avait travaillé.

 Le cycle de conférence à cette époque durait un an. Peu doué mais curieux j'en devint un pilier. Fourmont, entre autres, se transforma de "professeur" en Maître non pas tant par ses exposés que je commençais à connaître mais par les conversations qui se déroulaient après les cours dans les cafés pour une pause bien gagnée menant rapidement aux premières heures du lendemain matin au grand dam des femmes respectives qui s'inquiétaient. Là, littérature, politique, philosophie, sciences, gastronomie, Histoire, fusaient de tout bords et s'intriquaient avec des cas de malades, les difficiles évidemment, les points utiles...., les souvenirs de chacun. Fourmont y excellait, c'était entre autre l'homme du mot juste, du mot convenant à la situation, notamment lorsqu'on faisait état des articles devant figurer dans les statuts de la Société, celui vers lequel on se tournait et qui était écouté. Sa plus belle oeuvre restera notre revue Méridiens. Il lui fit don de sa personne; il en imposa la qualité de sa présentation et de ses articles prenant parfois le risque de se faire quelques ennemis quand la qualité ne correspondait pas à son attente. 

Merci Didier pour tout ce que tu as donné, pour tout ce que tu as transmis,

pour ta disponibilité constante ... et pour ton amitié. 

Michel MARY

 

 

Enfant de Normandie, au caractère buriné à la pointe du Hoc, acupuncteur de la première époque, le docteur Didier Fourmont était la mémoire vivante de l'Association Scientifique des Médecins Acupuncteurs de France (A.S.M.A.F.) et de l'École Française d'Acupuncture (E.F.A.). 

Il a pris en charge le secrétariat général de l'ASMAF, après l'échec d'une tentative de regroupement, en 1967, entre la Société d'Acupuncture (fondée par les Drs Khoubesserian, Ferreyrolles et Flandin) et la Société Française d'Acupuncture (créée par le Dr de la Füye). Il a été, en 1977, à l'origine de la création de l'École Française d'Acupuncture... «considérant que les cours n'étaient, statutairement, pas une activité du ressort de l'ASMAF, et que d'autre part, EFA présentait l'avantage d'être une raison sociale plus explicite»... .

L'EFA a formé plusieurs centaines de médecins acupuncteurs. Elle est toujours le cadre dans lequel nous avons nos réunions de perfectionnement.

En 1968, à l'âge de 55 ans, en créant «Méridiens», il met au service de ses confrères ses qualités d'organisateur et de lettré. Revue d'acupuncture en langue française de renom international, cet instrument de formation continue a d'emblée eu la forme et la mise en page sobre et élégante que nous lui connaissons encore actuellement.

Sur trente années, c'est près de 500 articles {dont la liste chronologique est donnée à la fin de ce numéro. NB Ce texte comporte des extraits de télécopies reçues du Dr Didier Fourmont en 1996 et 1997}, des auteurs prestigieux, une majorité de Français mais également des étrangers,  francophones ou non, dont des asiatiques, du Vietnam ou de Chine.

Les abonnés sont répartis sur quatre continents et comprennent des bibliothèques universitaires.

A côté d'articles portant sur des études traditionnelles et cliniques, Méridiens comporte une importante rubrique scientifique. Didier Fourmont appartenait en effet à la génération des acupuncteurs français qui ont contribué à matérialiser la nature biophysique de l'acupuncture, apportant ainsi une démonstration scientifique de la réalité de notre discipline. Les activités du médecin général Cantoni et de Jacques Pontigny ont naturellement pris l'aspect d'articles dans Méridiens avant d'être réunis sous forme de livres. Ce courant irrigue toujours les pages de la revue.

La mort l'a surpris l'a surpris alors qu'il préparait le numéro anniversaire (n° 110) marquant la 30° année d'existence de la revue.

Recevant ses derniers patients peu avant son décès, acupuncteur pendant plus de cinquante années, il a acquis une expérience incomparable.

«Considérations sur le diagnostic étiologique et le traitement des luxations récidivantes du maxillaire inférieur et des troubles de l'articulé dentaire» aura été sa dernière communication aux Échanges Soulié de Morant de Mars 97 (François Bibault lui prêtait sa voix. Le texte a été publié dans le N° 109). Il rassemblait, en juin/juillet derniers, une iconographie pour présenter une nouvelle communication (pour la prochaine réunion du Procope) sur le traitement par acupuncture des lésions arthrosiques et pré-arthrosiques du genou. Infatigable praticien, inlassable communiquant ... 

Il a démontré face aux épreuves que lui a imposées la vie un courage et une pugnacité qui ont forcé notre admiration. Il y a quelques années, après une nouvelle intervention, il a été définitivement privé de la parole. Obligé de communiquer par écrit, le fax remplaçait le téléphone. Ses textes étaient manuscrits, mais des névrites cervico-brachiales (d'origine radique) ont petit à petit rendu son écriture difficile à lire. Il s'est alors initié, à 84 ans, au traitement de texte sur ordinateur! Bien que convivial, cet appareil ne se manie pas comme un stylo. Quelques semaines ont cependant suffi pour que Didier Fourmont pilote sans «bug» majeur la machine et son logiciel. Libéré de la contrainte de lisibilité, il rédigeait des textes que nous trouvions souvent le matin sur nos télécopieurs.

Pendant des années, Henri Olivo a été son correspondant privilégié, les échanges étaient quotidiens. Après le décès d'Henri, début 96, ce fut Jean Choain qu'il connaissait «depuis plus de 50 ans, depuis les réunions de la Société d'Acupuncture». Décédé en mai 97, il a précédé Didier de quelques semaines sur le chemin qui mène au paradis des acupuncteurs. «Ayant perdu la voix et récemment l'écriture, le fax et lui (l'ordinateur, NDLR), sont devenus mes seuls moyens de rompre un isolement qui serait insupportable si j'offrais quelques dispositions à la tristesse et à l'angoisse. Heureusement, je compte bien sauvegarder mon optimisme jusqu'à ma fin, car il est érigé en moi sur une base solide de scepticisme et de doute. Une sorte d' «à quoi bon» très Montaigne assaisonné d'une pincée de Lao tse, ce qui fait que dans les pires moments - sauf bien entendu, ceux qu'il m'est arrivé de connaître, où la douleur, intense et durable, ne laisse aucune place à la pensée - je me dis toujours que c'est le destin qui m'a été imparti, qu'il faut accepter sans révolte et sans se départir de la forte dose d'humour que je sens chevillée en moi.» 

Ayant compris le potentiel des autoroutes de l'informations pour notre discipline, il était enthousiaste à l'idée de la création d'un site Internet EFA. Il avait donné son appui à ce projet et suivi chaque étape de sa préparation.

Didier Fourmont partageait avec Henri Olivo une passion pour l'astrologie : ... «il ne faut considérer le schéma du thème astral que comme un support mancique à l'instar des lignes de la main ou du marc de café, à ceci près que l'astrologie permet une avancée passionnante dans la psychologie en nous livrant les clés de nos contradictions apparentes.» «Nous ne sommes que les acteurs d'une pièce dont le texte est déjà écrit, et la seule liberté qui nous reste est de le déclamer à notre guise.» 

Il aimait les roses (passion qu'il partageait avec sa femme et toute sa famille) «... nous avons compté, il y a 20 ans, jusqu'à 600 rosiers dans notre jardin. J'aimais composer des bouquets, c'est ainsi que j'ai découvert que la St Exupéry, dont le bleu un peu éteint porte au spleen, prend toute sa valeur lorsqu'elle est introduite dans un bouquet de roses éclatant de lumière. Sans doute apporte t-elle sa note de Yin dans ce bouquet flamboyant de Yang.» 

Nous adressons au vieux maître qui nous quitte un respectueux salut. Nous le remercions pour l'exemple d'une rigueur jamais prise en défaut: «La rigueur est de rigueur». Nous continuerons à agir pour élever l'acupuncture, aux racines plongées dans la tradition chinoise antique, au rang d'une discipline médicale acceptée et intégrée dans notre système de santé occidental.

 Patrick Sautreuil

 

Je ne sais pas écrire un article, mais je souhaite dire combien j'appréciais le Docteur Didier Fourmont.

Je trouvais en lui toute la chaleur humaine qui m'est si précieuse, chaleur qui rayonne et fait du bien à tout l'entourage.

Son esprit et sa pensée, très riches, donnaient un intérêt passionnant à toutes les conversations que j'ai eues avec lui.

Et puis, je lui porte une grande gratitude pour tout ce qu'il a fait pour l'œuvre et le souvenir de mon père, George Soulié de Morant, qui me tiennent tant à cœur, en particulier par la publication du N° 79 de Méridiens, entièrement consacré à lui*.

Je garde donc au Docteur Fourmont mon admiration, ma reconnaissance et mon attachement.

Evelyn Soulié de Morant

* George Soulié de Morant ou l'épopée de l'acupuncture moderne par le Docteur Wei Thiong Chan Way Tim, Méridiens N° 79, 4° trimestre 1987

 

 Didier FOURMONT sut mettre en musique et orchestrer ses dons innés : Intelligence, mémoire, vitalité et sens aigu de l'observation, pour devenir un médecin acupuncteur, homéopathe subtil et novateur, en même temps qu'un humaniste teinté d'alchimie.

Il fut le fondateur de  «MÉRIDIENS».

Si le contenu de cette publication semestrielle est d'une qualité semblable au contenant : qualité du papier, impression, mise  en  page, qualité synoptique, il est permis de penser que les médecins reçoivent chez eux deux  chefs d'œuvres  par an.

Il y a, parmi les lecteurs de MÉRIDIENS des scientifiques rigoureux, des philosophes spiritualistes ou non, les uns et les autres préconisant, tout à la fois, des potions anciennes et des découvertes récentes sans jamais se départir d'un bel empirisme sans lequel la Médecine ne serait pas.

C'est grâce à Didier Fourmont et à quelques uns de ses confrères que perdure et se réalise MÉRIDIENS à raison de deux incubations annuelles.

MÉRIDIEN, au singulier, devient  zénith : ce qu'il y a de plus haut. Les hommes de ces cahiers sont bien trop modestes pour commettre une telle omission.

Gérard Tavera -  Paule Soria Tavera

 

Comme le disait Wang Fuzhi qui vivait à l'époque de la dynastie des Ming finissante, la vie est faite de rencontres. La décision de soumettre à publication un article dans la revue «Méridiens» voilà déjà quelques années, a créé l'occasion d'un échange de lettres qui m'a offert le privilège de découvrir un homme et un esprit merveilleux. Une belle écriture, un style rigoureux et agréable, un goût commun pour le travail de la langue et l'histoire, une curiosité délicate de l'autre comme le sentiment partagé de la nécessité d'inscrire le message de l'acupuncture entre tradition et modernité scientifique ont opéré un rapprochement qui s'est accentué avec le temps. La rencontre des mains et des regards devaient attendre une soirée réunissant des membres de l'Association et de l'Institut Ricci avant que ne viennent les journées du Procope. Il est alors devenu simple de comprendre la qualité de la revue «Méridiens» et la puissance du souffle qui anime l'Acupuncture en France. Que dire de plus quand petit artisan, on rencontre un maître, si ce n'est que la rencontre ouvre les portes d'un chemin sur lequel il suffit de se laisser glisser.

Patrick TRIADOU