Impératrice

Shan Sa

Paris : Albin Michel

2003, 440 pages, Format : 14,5 x 22,5

Prix : 22 €

ISBN : 2-226-14183-9

 

 

 

 

Shan Sa est née dans une Chine détruite sous la révolution culturelle. A 17 ans, elle quitte Pékin pour Paris et devient, 10 ans plus tard un auteur de langue française reconnu.

 

 

« Je m’allongeai sur le ventre. Deux mains charnues commencèrent à appuyer lentement sur les points d’acupuncture de ma nuque. Elles glissaient  dans mes cheveux et frottaient  mon crâne fatigué par le port de la perruque et des épingles d’or ». Voici le seul passage de ce livre qui fait référence à l’acupuncture. Mais qu’importe, car cet ouvrage est davantage un livre poétique qui raconte l’histoire romancée et mélancolique de la vie d’une femme de la naissance à la mort survenue à 81 ans. Elle est devenue l’Empereur-Sacré-Qui-Fait-Tourner-la-Roue-d’Or. Son nom fut outragé, son histoire déformée et sa mémoire effacée par les hommes qui se sont vengés d’une femme qui avait osé devenir Empereur. Qui est-elle ?

Wu Zetian (624-705) est l'impératrice du deuxième souverain de la dynastie des Tang, Gaozong. Le rayonnement et l'influence de cette dynastie s'étendra du Japon à la Perse, de la Mongolie à l'Inde. La nouvelle capitale, Chang'an (Xi’an), cité prospère et cosmopolite, devient la plus grande ville du monde et la Chine va connaître l'une des pages les plus brillantes de son histoire. Fille d'un haut fonctionnaire, Wu Zetian est instruite, intelligente, belle et ambitieuse. Remarquée par le futur empereur Gaozong parmi les favorites de son père, la jeune Wu passa du rang de favorite à celui de concubine, puis rapidement d’impératrice. Durant les dernières années de règne de son mari, alors gravement malade, elle prend une influence de plus en plus grande et dirige réellement le pays à l’égal de l'Empereur. En 680, elle écarte l'héritier légitime et lui substitue l'un de ses fils. Après la mort du souverain, elle détrône ce fils pour le remplacer par un frère âgé de 22 ans, qu'elle destitue à son tour, pour enfin s'introniser elle-même " Empereur " en tentant de fonder une nouvelle dynastie, celle des Zhou (en 690). Pour arriver à ses fins, elle aurait même assassiné un de ses propres enfants, premier d’une longue série de crimes. Entre 684 et 688, afin d'aplanir le chemin la menant au trône et aussi d'assurer la paix au pays, elle réprima ainsi les rébellions des familles royales et des nobles. Pour renforcer sa domination, elle fit appliquer une politique cruelle, encourageant les fonctionnaires à se dénoncer entre eux, emprisonnant et châtiant lourdement, au mépris même de la justice. Wu Zetian devint alors la première et unique impératrice de toute l'histoire chinoise.

Malgré ses méthodes radicales et dures, un certain nombre d'historiens lui rendent hommage pour ses quinze années de règne en tant qu'impératrice car bien que Wu Zetian n'ait régné qu'une dizaine d'années, elle prit en main le pouvoir de la dynastie des Tang durant un demi-siècle. Pour accroître son influence politique, elle s'efforça de réprimer les forces des grands dignitaires et de briser le système des privilèges réservés aux familles nobles. En créant les concours administratifs pour tous, elle permit à des hommes compétents de basse extraction d’accéder à des postes de dirigeants. Elle mit en application diverses mesures visant à alléger les charges fiscales et à encourager le développement de l'agriculture, ceci afin de renforcer les ressources du pays et d'améliorer les conditions de vie de la population. La médecine ne fut pas en reste et des traités médico-chirurgicaux furent écrits, comme le «Qianjinfang» (les mille recettes de grand prix) rédigé en 652 par Sun Simiao [[1]]. Adepte fervente du bouddhisme, elle consacra d'importantes ressources humaines et financières à la construction de temples. A cet égard, elle abandonna la capitale Chang’an pour Luoyang sur les bords de la rivière Luo. Tout près de là, elle  fit graver dans les Grottes de Longmen sur la rive est du fleuve Yi, de nombreux Bouddhas dont l’un des plus célèbres est le Bouddha Vairocana dans la grotte Fengxian.

 

 

 

 

Vairocana dans le temple Fengxian

Dynastie des Tang (618-907)

Bouddha central, Vairocana, haut de 17,14 m, est la divinité suprême. Selon la légende, pour flatter l'impératrice, les artistes auraient donné au Bouddha,  une ressemblance avec Wu Zetian, qui était belle et gracieuse.

 

© photo : Jean-Marc Stéphan

 

Enfin tout cela, c’est l’Histoire racontée par les historiens.

 

 Mais la petite histoire racontée par Shan Sa est bruissante de la course échevelée des chevaux, des luttes d’influence entre confucianistes, taoïstes et bouddhistes, des conspirations des différents clans familiaux, des intrigues de palais dans lesquels vivent les 10000  épouses et concubines impériales. Shan Sa défend la cause de Wu Zetian et on peut la comprendre car le débat continue concernant l'appréciation de Wu Zetian. Les critiques l'accusent d'avoir commis des injustices et de s'être nommée elle-même impératrice. Mais les données historiques nous montrent que malgré la révolution du palais, les forces productives se développèrent rapidement sous son règne et les habitants étaient satisfaits de leur existence.

 

Bref, voici un livre pour tous ceux qui aiment l’histoire autant que la poésie.

 

Jean-Marc Stéphan

 

 

Rappels bibliographiques :

·         Lin Y. L’impératrice de Chine (traduction  de Christine barbier-Kontler). Arles: Philippe Picquier; 1998.

·         Despeux C. Prescriptions d'acuponcture valant mille onces d'or : Traité d'acuponcture de Sun Simiao du VIIe siècle. Paris: Guy Trédaniel; 1990



[1].Huard P. La médecine sous les dynasties Souei (581-917) et T’ang (618-907). Méridiens;1990,89:43-62.

 

 © Jean-Marc STEPHAN & Acupuncture & Moxibustion Décembre 2004