Le point " poumon " auriculaire démontre de façon quasi-significative, mais discutable, son efficacité dans l’aide au sevrage tabagique

 

Waite NR et al. A single Blind, placebo-controlled trial of simple acupuncture treatment in the cessation of smoking. Br J Gen Pract 1998; 48(433): 1487-90.

 

RÉSUMÉ

Question

Un protocole d’acupuncture auriculaire simple a-t-il une efficacité supérieure au placebo dans l’arrêt du tabac, à 6 mois.

 Plan expérimental

Essai comparatif randomisé avec insu patient versus acupuncture factice (sham acupuncture). Suivi à 6 mois.

Cadre

Non précisé.

Patients

Accord du comité d’éthique. Détermination préalable du nombre de sujets nécessaire : 36 dans chaque groupe (72). 83 volontaires sont recrutés sur les critères suivants : Critères d’inclusion : avoir plus de 18 ans, fumer plus de 10 cigarettes par jour,  avoir un taux de cotinine urinaire supérieur à 0,5 mg l-1. Critères d’exclusion :  antécédents d’Acupuncture pour l’arrêt du tabac, port d’un pace-maker, utilisation d’une autre méthode de sevrage durant l’expérimentation. 4 sujets ne se sont pas présentés pour le traitement. 79 volontaires (44 hommes et 35 femmes) sont donc finalement recrutés.

Intervention

Pratiquée par un médecin généraliste diplômé d’Acupuncture.

Randomisation en deux groupes :

1) Acupuncture. Repérage du point « Poumon » auriculaire à l’aide d’un détecteur électrique. Puncture bilatérale. Stimulation électrique pendant 20 minutes, à la fréquence de 4 Hz, avec une intensité perçue par le patient et non douloureuse. Au bout de 20 minutes les aiguilles sont enlevées et remplacées par des graines (chinese cow herb), fixées par un adhésif. Le patient masse le point à chaque envie de fumer.

2) Placebo (sham acupuncture). La procédure est absolument identique en tous points, mais les aiguilles et graines sont placées sur la partie médiane de la rotule, en dehors de points électriquement détectables. La puncture est superficielle. La stimulation électrique identique.        

Principaux critères de jugement

Tous les sujets sont contactés par téléphone au bout de 2 semaines et reçoivent un questionnaire à 2 et 4 mois. La demande essentielle concerne l’arrêt du tabac. A 6 mois, les 79 patients sont revus et un dosage de cotinine urinaire effectué pour confirmer les dires des patients.

Principaux résultats 

Un patient toujours fumeur est exclu car il a utilisé des patchs à la nicotine. 40 patients ont reçu l’acupuncture. 38 patients ont reçu le « placebo ». Un patient n’ayant pas réalisé le dosage urinaire, 77 volontaires sont donc analysés.

Tableau 1. Résultats.

Groupe

Résultats

2 semaines

2 mois

4 mois

6 mois

Urines

Acupuncture

Fumeur

Non fumeur

25

15(37,5%)

29

11(27,5%)

31

9 (22,5%)

33

7 (17,5%)

35

5 (12,5%)*

Placebo

Fumeur

Non fumeur

31

7 (18,4%)

34

4 (10,5%)

38

0 (0%)

38

0 (0%)

37

0 (0%)

* p = 0,055.

Conclusion 

Ce traitement d’acupuncture auriculaire simple est significativement plus efficace que le placebo dans l’arrêt du tabac.

COMMENTAIRES

Il s’agit d’un essai de bonne qualité méthodologique. Les points forts sont le suivi à 6 mois et surtout le dosage de cotinine urinaire. Ce dernier a été rarement effectué dans les essais comparatifs randomisés (ECR) en acupuncture. Il permet de constater que deux patients sur sept disant avoir arrêté de fumer sont en fait toujours fumeurs. Les tests statistiques, malgré les dires des auteurs, ne paraissent pas complètement significatifs. Le fait de choisir des points à distance, corporels et non auriculaires, est sans doute également important. Dans ces conditions l’insu du patient est discutable, bien que ceux-ci n’aient jamais eu d’acupuncture pour arrêter de fumer. Toutefois une quantité non négligeable d’entre eux arrêtent de fumer après la séance (18,4%), mais de façon non durable. Il aurait été souhaitable de valider l’insu patient par un test de vraisemblance du placebo.

En ce qui concerne le protocole lui-même, de nombreux facteurs sont à discuter : Le traitement est simple, applicable en pratique courante, sans doute même par des non acupuncteurs après une formation simple. Actuellement un suivi prolongé (sur un an) est proposé aux fumeurs, et une seule séance initiale, même suivie de quelques jours de massages du point, paraît bien minimale. Un tel suivi suppose l’intervention d’un médecin acupuncteur bien formé, adaptant le traitement à chaque personne et nous perdons l’intérêt de la simplicité. Pourquoi avoir choisi le point « Poumon » auriculaire, l’électro-stimulation, une fréquence de 4 Hz? Les auteurs ne donnent aucune explication. Il semblerait que l’irritation provoquée par les graines soit une condition du succès. Trois ECR ont utilisé le point « Poumon » auriculaire, de façon isolée. Aucun des trois n’avait montré de différence significative en faveur de l’efficacité de ce point [1, 2, 3].

L’essai de Vibes [1], démontre l’efficacité significativement inférieure de ce point par rapport au point « 0 » auriculaire ou par rapport à un traitement associant GI4 (Hegu), ES36 (Zusanli), F03 (Taichong) et VB8 (Shuaigu), en bilatéral. Il n’y a pas de différence significative avec un protocole placebo corporel. Le point auriculaire est traité par une aiguille à demeure. Les résultats (arrêt du tabac selon les dires des patients) sont évalués à 15 jours. 

Dans l’essai de Gillams et al [2], cité par les auteurs, les aiguilles à demeure sont renouvelées 2 fois (3 séances) à 1 semaine d’intervalle. Le protocole placebo repose sur un point auriculaire à distance du point « Poumon ». Aucune différence significative n’apparaît immédiatement, à 3 mois ou à 6 mois.

Enfin Gilbey et al [3] comparent les points « Poumon » et « Rein » auriculaires, stimulés par une aiguille à demeure, avec une seule séance. Aucune différence significative n’est observée, à 1 semaine, 1 mois ou 3 mois. Toutefois le point « Rein » n’est pas un protocole placebo, certains auteurs l’utilisant comme traitement pour arrêter de fumer.

Aucun de ces trois essais n’utilise un test biochimique de contrôle de l’arrêt. Le tableau 2 donne les résultats comparatifs des 4 ECR évaluant le point « Poumon » auriculaire. Les résultats immédiats (à 1 ou 2 semaines) de trois des quatre ECR sont très proches avec un arrêt du tabac entre 32 et 37,5% pour le protocole testé. A 6 mois, les deux ECR concernés trouvent 17,5% et 18% d’arrêts selon les dires du patient. Donc, la différence essentielle entre ces différents essais vient de la faiblesse des résultats dans le groupe dit « placebo » chez Waite et al., plus que de l’efficacité supérieure du protocole utilisé, semble-t-il. Ceci peut s’expliquer, par exemple, par la précaution avec laquelle les auteurs ont cherché un protocole « placebo » le moins efficace possible, mais aussi par la faible conviction du thérapeute non insu dans ce groupe, soit par la faible croyance des patients dans ce protocole « placebo ».

Tableau 2. Résultats comparatifs des 4 essais explorant l’efficacité de « Poumon » auriculaire dans l’arrêt du tabac.

Evaluation

Waite et al.

Vibes

Gilbey et al.

Gillams et al.

1 ou 2 semaines

Vrai : 15/40 (37,5%)

Faux : 7/38 (18,4%)

Vrai : 3/34 (8 ,8%)

Faux : 2/30 (6,6%)

PO : 16/44 (36,4%)

RE : 16/48 (33,3%)

Vrai :9/28 (32%)

Faux : 8/27 (30%)

6 mois

Vrai : 7/33 (17,5%)

Faux : 0/38 (0%)

Vrai : 5/28 (18%)

Faux : 4/27 (15%)

Cet essai, méthodologiquement bien conduit, est malheureusement discutable en raison du thérapeute non aveugle et d’un insu patient discutable. Il s’agit d’une nouvelle illustration de la difficulté à isoler l’effet spécifique de l’acupuncture de l’ensemble des effets inhérents, notamment, à la relation médecin-malade et à l’investissement mis, par le patient ou le thérapeute, dans la réussite du traitement. D’un autre côté les résultats bruts obtenus, dans le cadre d’un essai, sont comparables à ceux revendiqués par d’autres méthodes thérapeutiques aujourd’hui reconnues comme efficaces.

 

Philippe Castera

Société d'Acupuncture d'Aquitaine

Groupe de travail « évaluation et lecture critique en acupuncture »

FAFORMEC

 Références

1.  Vibes J. Essai thérapeutique sur le rôle de l’acupuncture dans la lutte contre le tabagisme. Acupuncture 1977;51:13-20.].

2.  Gillams J et al. Acupuncture and group therapy in stopping smoking. Practitioner 1984;228(1389):341-4.].

3.  Gilbey V et al. Auricular acupuncture for smoking withdrawal. American Journal of Acupuncture 1977;5(3):239-47.].

Date de création 06/01/2001