Patrick Sautreuil, Pilar Margarit Bellver, Evelyne Franon

 

Médecine Traditionnelle et Acupuncture à Luang Prabang et Vientiane, Laos

 

Résumé : Au Laos, les soins médicaux reposent sur la phytothérapie traditionnelle. Parmi les minorités animistes mais aussi dans la majorité bouddhiste lao, le culte des esprits, phǐi, imprègne la vie quotidienne. Luang Prabang et Vientiane sont équipées d’hôpitaux de médecine occidentale. L’Acupuncture médicale est surtout pratiquée dans les principaux établissements de soins de la capitale. Mots clés : minorités -  animisme – phǐi - phytothérapie traditionnelle - acupuncture

Summary : In Laos, medical care is traditional phytotherapy. Among animists minorities but also Buddhist lao population, spirit worship, phǐi is predominant. Luang Prabang and Vientiane have hospitals of western medicine. Medical acupuncture is mainly practiced in main structures of Vientiane. Keywords : minorities – animism – phǐi - traditional phytotherapy - acupuncture

Introduction

Royauté devenue démocratie populaire en 1975, le Laos s’ouvre progressivement au monde extérieur depuis la chute du bloc soviétique. Cependant, il est encore peu concerné par la modernisation et la mondialisation. La pratique médicale y est rudimentaire, limitée à l’usage de plantes et au recours du culte des esprits dans les campagnes et chez les minorités. Luang Prabang, l’ancienne capitale située au nord, et surtout Vientiane, l’actuelle capitale située au sud, disposent d’établissements hospitaliers. L’acupuncture quasi absente à Luang Prabang est bien représentée à Vientiane.

Le Royaume du Millions d’Éléphants                                                                                       

Le Mékong, né au Tibet, traverse la Chine et sépare le Laos de la Birmanie et de la Thaïlande. Après avoir traversé le Cambodge, il arrose le sud Vietnam. Cet ancien « Royaume du Millions d’Éléphants » est un pays de montagne où règne l’abondance et la diversité [1].

Luang Prabang a été la première capitale avant Vientiane « Wieng Chan, Ville du Santal » devenue la capitale « la plus paisible du monde » [2]. Aujourd’hui, les éléphants ne sont plus que quelques milliers, pour la plupart domestiqués.

 

La colonisation française 

La conquête française a été pacifique. Elle a succédé à l’établissement de protectorats au Tonkin et en Annam à la fin du XIXème siècle. Le Laos n’était pas au centre des intérêts des colonisateurs et n’a pas bénéficié des mêmes efforts de développement d’infrastructures que le Vietnam. Les récits de voyages de cette époque sont passionnants [3]. La frontière avec la Thaïlande, alors royaume de Siam, n’était pas stabilisée et la secte chinoise des pavillons noirs, prolongement de l’armée régulière impériale des Qing, faisait des incursions meurtrières. C’est une époque de découverte et d’exploration où le chemin qu’on ouvrait dans la jungle se refermait derrière vous. Le Laos n’a retrouvé une pleine souveraineté qu’en 1953.

 

La guerre américaine                                                                                                                

La guerre menée par les États-Unis au Vietnam (1963-1975) a débordé sur le Laos et le Cambodge : c’est la face sombre de l’Empire. Pour briser le ravitaillement en armes des combattants communistes du sud par les Vietnamiens du nord empruntant la fameuse piste Hô Chi Minh, les Américains ont mené une guerre secrète au cours de laquelle les Laotiens ont reçu une demi-tonne de bombes par habitant, sans réelle efficacité sur l’approvisionnement du Vietcong ! Dans la population civile, il y eut un grand nombre de tués et de mutilés. Plus de trente ans après la fin des hostilités, chaque semaine, voire chaque jour, les munitions, mines, obus ou bombes (bombes à fragmentation) non explosés continuent de faire des victimes ! À ces dégâts, il faut ajouter ceux, immédiats et retardés, de l’épandage d’un défoliant, l’« agent orange », sur la flore, sur la faune et sur les humains. De graves anomalies embryologiques se manifestent toujours dans les régions contaminées.

La République Démocratique Populaire

Durant la guerre américaine, les communistes du Pathet Lao (PL) ont progressivement étendu leur contrôle sur le pays. En 1975, parallèlement à la chute de Phnom Penh et de Saïgon, la royauté était renversée à Vientiane et le PL créait la République Démocratique Populaire Lao. L’influence vietnamienne sur le pays est importante, car les cadres militaires et administratifs de cette génération ont été formés à Hanoï. Aujourd’hui, les représentants de la jeune génération, favorables à une certaine libéralisation, sont vus comme des « réactionnaires ».

Bouddhisme laotien 

Le Bouddhisme laotien est theravada. Il concerne 60 % de la population. Cette religion importée il y a de nombreux siècles, religion d’état à une certaine époque, a difficilement supplanté la religion animiste locale, le culte des esprits, phǐi. Celle-ci se manifeste, par exemple, par la cérémonie du su khwan (soukhouan de l’époque coloniale). Elle consiste à nouer des fils de coton blanc aux poignets sensés retenir les esprits protecteurs. En 1975, le régime communiste a essayé, en vain, d’expurger le bouddhisme. La manifestation la plus tangible de sa permanence est la représentation du temple Pha That Luang, monument bouddhiste national de Vientiane, également représenté au centre du drapeau et sur les billets de banque (figure 1).


 


Figure 1. Le That Luang de Vientiane, symbole de la souveraineté lao et de la religion bouddhiste, au lever du soleil.

Le Laos d’aujourd’hui

Le Laos contemporain est une oasis de tradition dans une Asie en plein bouleversement. Ce pays est encore préservé de la modernisation (passage d’une économie rurale à une économie de sous-traitance mondiale, urbanisation rapide, tourisme de masse…) qui a atteint la Chine il y a 30 ans.

 

Villages laotiens, villages des minorités ethniques : retour à l’essentiel

Notre séjour a commencé par un mini-treck de quelques jours dans les montagnes au nord-est de Luang Prabang. Notre guide, Lue, est un jeune hmong de 25 ans. Il nous parle en anglais. Il nous conduit d’abord dans un village laotien, puis plus loin dans la vallée, dans des villages Khmu, et, en gravissant les flancs de la montagne, dans des villages Hmong.

 

Un village laotien

Le premier village où nous faisons halte est laotien. Il se situe à deux heures de marche de tout chemin carrossable. La vie y est d’une grande simplicité. Les cases en bambou sont sur pilotis. Les parois sont en lattes de bambou refendu tressées en panneaux. Ces cloisons laissent passer l’air, les bruits alentours, la lumière des éclairs de l’orage et la pluie poussée par le vent… Une école élémentaire, toute neuve, construite « en dur » avec toit de tôles, à la périphérie du village, est en cours de finition.

Un groupe électrogène alimente le soir quelques ampoules disséminées dans le village ainsi qu’un poste de télévision dans une grande case, reliée à une antenne parabolique. Une partie du village se réunit pour suivre un programme en laotien. La plupart des familles ont de 7 à 12 enfants.

Le chef du village est également celui qui sait traiter certaines maladies. La transmission de ce savoir est familiale. Les accouchements ont lieu au village, sans assistance sanitaire. Ceux qui en ont les moyens vont à Luang Prabang. Pour aider à l’accouchement, on ouvre une papaye en deux, on isole les grains et on pose les pieds de la parturiente à plat dessus. L’effet se produirait après un délai de 10 à 20 minutes. Pour arrêter les hémorragies post-partum, on utilise une décoction de morceaux de bois, le ko na dam, black tree (figure 2).


 


Figure 2. Bois pour les hémorragies post-partum pris en décoction (Cliché PMB).

 

On utilise les feuilles d’une autre plante, ya pit gun, 2 à 3 jours après l’accouchement pour aider au rétablissement de la maman.

Une autre herbe rencontrée souvent le long des chemins, « l’herbe aux Français », ko nia kinieu, est utilisée pour la cicatrisation des plaies.

L’antipaludéen local (dont a bénéficié notre guide qui a eu le paludisme vers l’âge de 6-7 ans) est ya di kaï wat.

Également notre cuisinier, Lue prépare le dîner : une omelette aux herbes. Le feu est fait dans une petite case réservée à cette fonction, directement sur le sol, la poêle reposant sur un trépied en terre cuite. L’évacuation de la fumée et l’éclairage se font par la porte entre-ouverte.

 

Un village khmu ( khmer)

Nous continuons notre périple en remontant les cours des rivières et des torrents, en gravissant les flancs de montagnes, rendus glissants par des pluies diluviennes. Les vallées sont occupées par des tribus khmu. Autrefois maîtres de la région, leur domination s’étendait jusqu’au Vietnam et bien sûr au Cambodge. Ils ont été supplantés par les lao venus du Vietnam. Leur habitat est sur pilotis, semblable à celui des lao. Ils sèment le riz en culture humide (rizières) ou sèche  (sur les pentes de la montagne). Ils sont animistes en grande majorité. Nous prenons progressivement conscience de l’importance du culte des esprits (phǐi) dans la vie quotidienne des minorités mais aussi dans celle des lao bouddhistes. Par exemple, un petit autel aux esprits protecteurs des récoltes dans un champ de riz (culture sèche d’altitude) installé au sommet d’une tige de bambou. Dans la population animiste, lorsqu’on est malade, on s’adresse au chaman [5]. Si la maladie persiste ou s’aggrave, on cherche un traitement phytothérapique. Dans ce village, comme dans tous ceux traversés pendant ce petit périple, on ne connaît pas l’acupuncture.

 

Un village Hmong


Nous poursuivons notre route le long des torrents et à flanc de montagne, à travers des brûlis à perte de vue. Quelques grands arbres abattus par les tribus hmong à la machette sont sciés à la main et débités en planches ou en chevrons. Tout le reste est brûlé, ce qui explique la fumée et la pluie de cendres sur Luang Prabang, à des dizaines de kilomètres de là ! La terre dénudée de son couvert végétal est exposée au ravinement (figure 3). Ne bénéficiant pas des techniques d’enrichissement (fumage, engrais), elle s’appauvrit rapidement. Après quelques années, cinq à sept ans, elle est laissée en friche. Quand le périmètre cultivé à proximité du village est épuisé, on démonte les maisons de bambous et déménage le village (tous les quinze ans environ). La technique de la culture en terrasse [6] limiterait l’érosion du sol en permettant de meilleurs rendements.

 


Figure 3. Dévastation à perte de vue, jungle d’altitude (forêt primaire) abattue à la machette puis brûlée pour cultiver du riz en culture sèche et du maïs.

 

Les hmongs sont des descendants de Mongols, qui, fuyant la misère, ont quitté la Mongolie au 18ième  siècle et sont allés vers le sud de la Chine. En suivant le cours du Mékong, ils sont arrivés au Laos où ils sont maintenant 800 000. D’autres ont continué leur voyage vers la Thaïlande, l’Amérique, l’Australie ou la Guyane française.

« Derniers arrivés, derniers servis », les hmongs durent s’adapter à des régions non occupées par les lao et les khmu, aux flancs des montagnes. Conformément aux croyances animistes, les maisons (figure 4) et les récoltes des hmongs sont protégées par des autels.


 


Figure 4. Autel familial aux phǐi, les esprits de la terre.

 

Une vieille dame nous montre dans son jardin du gingembre noir, une variété aux vertus médicinales larges. Dans cette famille de religion chrétienne (adventiste ?), nous remarquons au fond de l’habitation, un placard grillagé qui contient des médicaments modernes parmi lesquels domine un grand flacon de paracétamol. Le chef de famille a reçu ces médicaments en dotation pour le petit village, à charge pour lui d’en faire bénéficier les membres de sa communauté.

Lue nous fait une démonstration d’un traitement hmong par piqûre (rien à voir avec l’acupuncture). Il s’agit, après avoir fait un garrot sur un doigt, d’en piquer la pulpe avec une aiguille pour en faire sourdre du sang. Si cela ne suffit pas, on pique un autre doigt puis encore un autre, au niveau de la main droite puis de la main gauche, jusqu’à guérison.

La vie du village, c’est aussi celle des animaux domestiques, chiens, cochons gris-noir, chèvres, canards, mais surtout les poules, coqs, poussins et poulets, hauts sur pattes, en petits groupes familiaux. Nous dormons avec la famille d’accueil, dans une grande hutte au toit de tôle (ce qui permet de récupérer l’eau de pluie) sur un lattis de bambou. Nous partageons cet abri avec une poule et sa dizaine de poussins. Nous avons goûté au poulet de montagne, nerveux, tué, bouilli et consommé dans l’heure… Ailleurs au Laos, la grippe aviaire qui sévit dans toute l’Asie du Sud-Est a entraîné l’abattage des basses-cours et des élevages ainsi que l’interdiction de consommer de la volaille.

 

Dans un village lao-hmong

Sur le chemin du retour, dans un village, dont la plupart des constructions sont en aggloméré, nous faisons la connaissance d’un magnifique vieillard qui a exercé longtemps la fonction de « médecin ». Il ouvre pour nous un grand cahier hérité de son grand père dans lequel sont consignées les indications de plantes médicinales locales. Il nous est difficile de mesurer l’importance réelle de cette activité. Nous observons un certain dénuement, l’absence de vaccinations, la rareté des médicaments et même celle des plantes à usage médical. Nous verrons plus tard, à Vientiane, à l’Institut de Phytothérapie et sur le marché de plantes médicinales, une vraie richesse dont ne semblent pas bénéficier ces populations.

 

Acupuncture à Luang Prabang

Luang Prabang est une ville située sur un promontoire à la confluence de la Nam Khan et du Mékong. Elle associe des constructions traditionnelles à un ou deux étages et des magnifiques temples bouddhistes. L’inscription de cette ancienne capitale royale au patrimoine mondial de l’UNESCO lui garantit pour longtemps préservation architecturale et fréquentation touristique, occidentale et asiatique.  Dans cette ville nous rencontrons deux kinésithérapeutes également acupunctrices.

La première a appris l’acupuncture avec un ami franco-laotien au Laos et exerce en libéral son double métier. Elle participe également au fonctionnement d’un salon de massage traditionnel à proximité du temple Vat Xieng Thong.

La seconde, Lao Sysombath (figure 4) est chef du service de kinésithérapie (en activité) et d’appareillage (en cours d’aménagement) du tout nouvel hôpital de l’amitié sino-laotienne (dont le directeur de l’hôpital est un chirurgien, le Dr Sichanh Hinpaphanh) construit avec des capitaux de la province frontalière chinoise du Yunnan. Elle a appris l’acupuncture en Chine et a une consultation régulière. Elle prend en charge des patients souffrant de lombalgies, de sciatiques, de cervicalgies, d’hémiplégies ou de polynévrites. Dans le cahier où sont enregistrées les consultations, dans la colonne diagnostic, les termes sont en français. Elle pratique la moxibustion mais pas l’auriculothérapie. Sur le mur, des grandes chartes de points d’acupuncture corporelle et auriculaire portent des traductions des termes chinois en laotien ou en français. Le jour où nous l’avons rencontrée, elle recevait la visite de représentants d’un établissement gouvernemental de Vientiane, COPE, qui fabrique du grand appareillage (voir plus loin).


 


Figure 4. Lao Sysombath, chef du service de rééducation, kinésithérapeute et acupunctrice.

 

Acupuncture à Vientiane

Vientiane est la capitale et la plus grande ville du Laos (500 000 habitants). Depuis l’ouverture progressive du pays, la modernisation de ses infrastructures s’accélère. L’acupuncture est présente dans plusieurs établissements.

 

Le service d’Acupuncture et Moxibustion de l’hôpital Mahosot

L’hôpital Mahosot est la principale structure médicale de la capitale. Dans le service d’Acupuncture et Moxibustion, des médecins exercent l’acupuncture et l’enseignent à des étudiants en médecine. Le Dr Sonenaly Khantharod, chef de service, a 17 ans de pratique. Elle utilise des aiguilles jetables coréennes et un stimulateur chinois. Outre l’acupuncture, elle pratique la phytothérapie traditionnelle lao et les massages. L’acupuncture a été introduite par les Vietnamiens et les Chinois après 1975, à la faveur de « l’augmentation de la qualité des relations amicales » avec ces pays.

Les moxas utilisés sont également coréens. Les principales indications de l’acupuncture dans le service sont les douleurs articulaires, l’HTA, les névralgies, les céphalées, les paralysies faciales et les douleurs lombaires. Avec son assistante, nous la voyons prendre en charge des patients présentant une paralysie faciale, une hémiplégie ou une sciatique (figure 5) et enseigner l’acupuncture à ses étudiants.

 


 


Figure 5. Pose de ventouses en bambou et en verre en complément d’un traitement par électro-acupuncture chez un patient sciatalgique.

 

Nous découvrons d’étonnantes propriétés du massage des faces latérales des doigts : une action sur la glycémie, le taux de cholestérol ou l’hypertension artérielle en massant les faces latérales des doigts (figure 6)


 


Figure 6. Le massage des faces latérales des troisième et quatrième doigts serait actif sur l’HTA, le diabète, l’hypercholestérolémie selon le Dr Sonenaly Khantharod.

 

Nos collègues ne prennent pas les pouls radiaux, ne pratiquent pas l’examen de la langue et ne pratiquent pas l’Auriculothérapie, d’où leur grand intérêt pour une démonstration de prise du VAS (Vascular Autonomic Signal, figure 7).


 


Figure 7. Démonstration d’auriculothérapie et de prise du VAS. 

 

Le service mitoyen est celui de kinésithérapie, équipé par Handicap International Belgique. La proximité n’est pas fortuite : souvent en Asie, l’acupuncture-moxibustion est associée aux soins de médecine physique.

 

L’Institut de Médecine Traditionnelle Laotienne (MTL) de Vientiane

Cet établissement se situe à proximité de l’Hôpital de l’Amitié, Mittaphab, dont il dépend pour sa gestion (un hôpital général de 250 lits avec toutes les spécialités médicales et chirurgicales, dirigé par le Dr Vanliem Bouaravong, chirurgien orthopédiste). Vers les années 1991-1992, la fin de la présence des experts soviétiques (liée à l’éclatement de l’URSS) a permis une ouverture à différentes collaborations, en particulier avec des médecins français. Le partenariat avec le Pr Patel de l’hôpital de Garches est un exemple : formations d’infirmières anesthésistes (grâce à des bourses d’un an), interventions de médecins ou de kinésithérapeutes. Le chef de service de l’Institut de médecine traditionnelle est le Dr Taykeo Saythavi. Il a étudié l’acupuncture durant trois ans à Pékin. Avec ses deux assistantes, il prend en charge des affections neurologiques. Il associe MTL (vente sur place des produits phytothérapiques), acupuncture et massage. Dans la population de la capitale, le ratio entre MTL et médecine occidentale est de 50/50. Un élément important, c’est que la MTL est bon marché. Dans la population rurale, la MTL domine d’autant plus que l’on s’éloigne des centres urbains. Voici quelques exemples de plantes médicinales présentées dans des petits sacs en plastique transparent avec une étiquette pour la composition et les indications :

. Celastrus Paniculus (partie d’écorces) : ulcère gastrique, démangeaisons, pyrexie, constipation, bronchites, douleurs lombaires ;

. Ochnaharmandi (200g) Desmodium Gangeticum (300 g) : Estomac, intestins ;

. Schefflera Eliptica : pour garder une « puissante » santé ;

. Sous forme de pilules pour améliorer la digestion, association de : Zingiher Purpuren Marose (200g), Curcuma Zedoaria (200 g), Eleutherinesbaphylla Gagner (100 g), Miel (300 g).

 

L’Institut de Recherche en Médecine Traditionnelle Lao 

Le Dr Kongmany Sydara nous reçoit dans cet institut créé en 1976 pour répertorier toutes les plantes médicinales endémiques utilisées par la population laotienne. Il a étudié la chimie et la pharmacie en Hongrie. Dans un français remarquable, il nous explique que pour seulement quelques plantes le principe actif est connu. Les indications reposent sur les données traditionnelles. Pour le méticuleux travail de création d’une banque de données, une coopération de longue durée entreprise avec les Américains et les Vietnamiens (1998-2008) est prolongée avec les Japonais (2008-2010). Ils ont également créé un jardin botanique médicinal. Avec son équipe, il rencontre de nombreux problèmes dans l’inventaire des plantes. Par exemple, certaines peuvent avoir plusieurs noms. Parmi les noms des plantes rédigés en laotien par notre guide Lue, il ne reconnaît que Mac si da (Psidium guyava), une plante utilisée pour traiter les parasitoses digestives (liées à la consommation de l’eau des rivières). Des travaux de recherche ont été mis en route pour le traitement de la malaria avec des plantes d’usage populaire, sans beaucoup de résultats pour l’instant. Le Dr Sydara nous rappelle que dans la culture indienne et la médecine ayurvédique véhiculée par le bouddhisme, on compte 4 éléments : air, feu, eau, terre, alors que dans la médecine traditionnelle chinoise il y en a 5 : bois, feu, terre, métal, eau. La mise en équivalence des indications des plantes n’en est pas facilitée.

Sachant notre intérêt pour l’acupuncture, il nous signale une technique lao de multipuncture sak ka tuk (piquer-retirer) utilisée par les vieux tradi-praticiens. Elle s’apparenterait à l’utilisation du marteau fleur de prunier chinois, la peau étant préalablement enduite d’huile de sésame dans laquelle ont macéré des plantes médicinales.

 

Le marché aux plantes médicinales de Vientiane

C’est une vraie curiosité, un marché bien achalandé. Se soigner avec les plantes, c’est s’intégrer dans son environnement, vivre en harmonie avec lui. Les indications de la grande variété des produits en vente, faute de traducteur, restera pour nous un mystère.

 

Le massage traditionnel

C’est une des agréables surprises du voyage. Un peu partout à Vientiane, moins densément à Luang Prabang, sont proposés des massages traditionnels. Les soins concernent le corps entier ou se limitent au visage et aux pieds. Proches des massages chinois, sans suivre rigoureusement les méridiens, ils sont précédés parfois d’un sauna dont la vapeur est parfumée avec des plantes aromatiques : agrumes sauvages, lavande... Dans l’enceinte du temple Vat Sok Pa Luang, nous avons connu, dans une maison en bois sur pilotis, un moment privilégié : sauna aux herbes et massages sous les mains robustes mais expertes des masseurs.

 

Le Centre C.O.P.E. (Cooperative Orthotic and Prothetic Entreprise)

En marge du séjour, nous avons visité le centre de fabrication des prothèses, des orthèses et des chaussures orthopédiques de Vientiane. L’établissement équipe et rééduque des patients amputés. La moitié le sont à cause d’un « UXO », Un eXplosed Organs (mines, obus, bombes et sous-munitions employées par l’armée américaine entre 1963 et 1975, trente ans déjà !). Ces munitions non explosées font encore des ravages parmi les paysans et les enfants du Laos, surtout dans les contrées de l’est du pays, comme au Cambodge d’ailleurs (figure 8). Le COPE prend également en charge des poliomyélites, des paraplégies, enfants ou adultes. L’établissement a des antennes dans plusieurs provinces du pays. La technique utilisée est celle du polypropylène. Le montage des pieds avec semelle caoutchouc pour la marche nu-pied, des genoux prothétiques et des emboîtures est tubulaire. Le plastique qui déborde des moules à la fabrication et celui des appareils « réformés » est broyé et recyclé pour faire de nouveaux composants. Cela fait baisser le prix de revient du matériel.

 


 


Figure 8. Deux amputés de membre inférieur droit, fémoral au centre et tibial à droite, victimes d’un « UXO ». Noter les cannes béquilles à appui axillaire.

 

Conclusion

Notre trop bref séjour au Laos nous a fait découvrir un pays magnifique et accueillant où les traditions ne sont pas balayées par la modernisation, l’industrialisation et l’urbanisation intenses que connaissent d’autres pays d’Asie. L’acupuncture médicale est bien représentée à Vientiane à l’hôpital Mahosot et à l’Institut de médecine traditionnelle. À Luang Prabang, sa pratique n’est régulière qu’à l’hôpital de l’Amitié Sino-laotienne. Les soins, surtout à distance des centres urbains, reposent sur l’utilisation d’une riche phytothérapie qui reste en grande partie à explorer et à valider. Dans les minorités, nous avons mesuré un important dénuement. La place des pratiques animistes, le culte des esprits, phǐi, y est toujours prépondérante.

 


 


Dr Patrick Sautreuil

patrick.sautreuil@gmail.com

 


 


Dr Pilar Margarit Bellver

pilarmargarit@terra.es

 

Dr Evelyne Franon

evelynefranon@yahoo.fr

 

Références

 

1. Gay, Patrick, et al. Trésors du Laos. Institut de Recherches sur la Culture Lao et Association Culturelle des Routes de la Soie, Singapore, 1997.

2. Cummings J, Burke A, Laos. Paris : Lonely Planet; 2006.

3. Pavie A. Au Royaume du Million d’Éléphants. Exploration du Laos et du Tonkin 1887-1895. Paris: Éd. L’Harmattan; 1995.

4. Edel C. Sur le Mékong et les pistes d’Indochine. Grenoble: Éd. Glénat; 2004.

5. Lewis P, Lewis E. Peuples du Triangle d’Or. Genève: Éd. Olizane; 1991.

6. Sautreuil P. Margarit Bellver P. Wu H. Médecine des Minorités du Guizhou. Place de l’Acupuncture. Acupuncture & Moxibustion. 2006.5(3):265-273.