Formation : mise au point

Abrégé de l’histoire de la médecine chinoise 

OBJECTIF

Tradition inventée ou médecine intégrative ? De la naissance de l’acupuncture au cours des dynasties Xia, Shang et Zhou au 16 novembre 2010, date de l’inscription de l’acupuncture – moxibustion au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO, un abrégé de l’histoire de la médecine vous propose de comprendre son évolution au cours des siècles.

Connaître l’essentiel de l’histoire de la médecine chinoise, des civilisations protohistoriques à nos jours.

Introduction

 

Il semble difficile d’isoler l’Acupuncture de la Médecine Chinoise dans son ensemble [[1]]. De même, on peut se poser la question de savoir si « Médecine Chinoise » correspond bien à la « Médecine Traditionnelle Chinoise » (MTC).

Il est généralement admis que la MTC comporte cinq disciplines qui sont la diététique 营养学 (yingyangxue), l’acupuncture et moxibustion 针灸 (zhenjiu), les massages 推拏 (tuina), la pharmacopée 制藥学 (shiyaoxue comprenant la phytothérapie chinoise à base de plantes, mais également l’utilisation des minéraux et des substances animales) et les exercices énergétiques 太極拳 氣功 (taijiquan et qigong).

Mais, en fait la MTC serait une « tradition inventée » [[2],[3]]. Dès la fondation de la Chine communiste en 1949 par Mao Zedong, des « médecins aux pieds nus » furent formés sur le terrain pour offrir leurs soins autant à l’armée qu’à la population. Les formes traditionnelles de la médecine, y compris l'acupuncture, ont été utilisées, autant par fierté nationale que par simple aspect pratique. Cette médecine était peu coûteuse et fournissait ainsi les niveaux de base en soins de santé à une population massive. De fait, Mao Zedong affirme en octobre 1958 pour promouvoir la MTC : « La médecine chinoise est un grand trésor du patrimoine et tout doit être fait pour l’explorer et l’élever à un plus haut niveau de connaissance » [[4]].

 

Civilisations protohistoriques 

Ces civilisations sont représentées par trois dynasties : la dynastie Xia 夏(2205‐1766 AEC1), Shang 商 (1765-1122 AEC) et Zhou 周 (1121-722 AEC)  [ 5]].
Les plus anciennes origines de la médecine chinoise sont liées au chamanisme ancestral chinois [[6]]. Les chamans avaient pour rôle de communiquer aux hommes la volonté et la puissance des esprits. On faisait appel à leurs aptitudes pour rétablir la continuité de l’Ordre Cosmique. Un cauchemar réveillant un Prince, une douleur abdominale chronique ou une sécheresse étaient perçus comme autant de problèmes qui nécessitaient l’intervention du chaman. Durant cette période, il semble que la médecine est dominée par les charmes, les incantations, les amulettes. Des inscriptions d’ordre médical sont retrouvées sur os gravés ou écaille de tortues [ 5 ].

Les premiers indices relevant de l'acupuncture se situent à la période de l'âge de bronze (durant la dynastie Shang). C’est Quan Yuan Qi de l’époque de la dynastie du Sud Liang (502 – 557 EC) qui proposa pour la première fois que la thérapeutique au poinçon de pierre (pierre 砭 Bian) était à l’origine de l’acupuncture à aiguille métallique. Mais suite aux découvertes archéologiques de Mawangdui, il apparaît que l’invention de la thérapeutique par acupuncture n’a pas de lien direct avec la thérapeutique au poinçon de pierre, instrument médical de la forme d’un couteau principalement utilisé plutôt pour ouvrir et faire suppurer les furoncles ou pour procéder aux saignées. Bref, la croyance selon laquelle la thérapeutique au poinçon de pierre était à l’origine de l’acupuncture à aiguille métallique peut être considérée comme erronée [[7]]. Des aiguilles de bambou, d'os, de terre cuite, ou même de piquants herbacés ont aussi été utilisées ensuite avant d’être supplantées par les aiguilles métalliques en bronze.

Le Yijing (易經, également transcris Yi King ou Yi-King) ou «Classique des Changements ou des Mutations » date de la dynastie Zhou. Il s’agit d’un livre de divination dont les principes vont imprégner à la fois le Confucianisme, mais surtout le Taoïsme [[8]].

Époque des Printemps et des Automnes (722481 AEC)

 À cette époque, la Chine est soumise à un régime féodal. Les rois de la dynastie des Zhou ne contrôlent directement qu'un petit domaine royal, centré sur leur capitale (l'actuelle Luoyang). Partout ailleurs, le pouvoir est exercé par la noblesse, au travers de fiefs. On compte, au huitième siècle, plusieurs centaines de petits États vassaux des Zhou. La plus ancienne mention écrite concernant l’acupuncture date de 580 AEC, il s’agit des Annales des Printemps et des Automnes (春秋 Chunqiu), description historique de l'État de Lu. Le Zuozhuan (左傳) se présente sous la forme d'un commentaire du Chunqiu et rend compte de l’état de la médecine à l’époque des Annales des Printemps et des Automnes qui est encore mal séparée de la magie. La sphygmologie et l’acupuncture systématisée sont inconnues [ 5 ].

Époque des Royaumes Combattants (Vème 221 AEC)

Si les croyances de base dans la cosmologie chamanique n'évoluent pas au cours des Royaumes Combattants, la perception de l'organisation du monde change. Les phénomènes naturels sont désormais perçus comme tous liés les uns aux autres dans une cosmologie corrélative. Tout événement est analysé et reporté dans des almanachs afin de comprendre les différents cycles. L’Univers semble en perpétuel mouvement. Dans ce contexte vont s’élaborer toutes les concepts théoriques et les fondements dialectiques du qi, du yin et du yang, des Cinq Phases ou Mouvements (wuxing), de la divination issue du Yijing observant les mutations. Cette intense intellectualisation aboutit à une redéfinition de l'Univers qui offre une nouvelle perception de l'espace et du temps, des pratiques rituelles et même de la médecine. La médecine chinoise devient alors une « médecine scientifique » à part entière.

C’est à cette époque que vécurent deux personnages, Laozi (auteur présumé du Daodejing 道德經)  et Confucius (Kongfuzi 孔夫子) dont les pensées exercèrent une influence déterminante sur la philosophie chinoise et indirectement sur la médecine.

Le Huangdi neijing (黄帝内) ou Classique interne de l'empereur Jaune, considéré comme le plus ancien ouvrage de médecine chinoise aurait été publié au cours de cette époque, mais selon les dernières découvertes issues des manuscrits de Mawangdui 馬王堆 (168AEC), l’ouvrage sous la forme que l’on connaît serait bien plus tardif et remanié dès le IIème EC [8].

Dynastie Qin (-221 à -206 AEC)

 

Cette dynastie a mis fin à des siècles de féodalité en jetant les bases administratives d'un État centralisé qui favorisa l'unité culturelle du territoire. Son fondateur, le Premier Empereur, Qin Shi Huangdi (秦始皇帝), connu pour son régime cruel, autoritaire et impopulaire a été redécouvert en 1974 par l’intermédiaire de son monumental mausolée à Xi’an et de ses milliers de soldats en terre cuite. Il est parfois considéré comme le « père » de la Grande Muraille (figure 1) et fut à l’origine en 213 AEC d’un autodafé visant à la destruction de tous les ouvrages de l'empire, à l'exception des manuels d'agriculture et de divination. Néanmoins le Huangdi neijing fut sauvé du désastre [[9]].

Figure 1. La grande muraille  de Chine à Badaling.

Dynastie des Han (206 AEC 220 EC)

Cette période est prolifique aussi bien en classiques renommés qu’en médecins célèbres. Le Nanjing , encore appelé Classique des difficultés daterait du I ou IIème AEC (mais discuté [8]), les manuscrits de “Mawangdui” (168 AEC), le Shanghanlun 傷寒論 (Traité des atteintes du froid), le Shennong bencaojing 本草 (L'herbier de Shennong) qui est le premier traité de matière médicale (Ier AEC) sont quelques uns des ouvrages réputés. Le chirurgien Hua Tuo (110-207EC) pratiqua des interventions chirurgicales abdominales avec anesthésie par les plantes (chanvre indien, datura). On lui attribue d’autre part l’unité de mesure variable permettant de localiser les points : le cun  [9,[10]]. Zhang Zhongjing (158-219 EC), autre médecin célèbre qui rédigea le Shanghanlun a été surnommé l’Hippocrate chinois.

Les Trois Royaumes, Dynastie Jin, dynasties du Nord et du Sud (220-581)

 

Durant cette période, le Maijing 脈經 « Classique des Pouls », écrit par Wang Shuhe 王叔和 au IIIème siècle et reconnu pour sa description des vingt-huit pouls pathologiques donne au diagnostic en acupuncture toute son originalité [[11]].

Le premier ouvrage de «simplification» de la médecine chinoise, le Zhenjiu jiayijing (針灸甲乙經, L’ABC d'Acupuncture et de Moxibustion) fut écrit en 259 de notre ère par Huangfu Mi 皇甫謐 (215-282) sous la dynastie des Jin. Cet ouvrage rassemble toutes les théories traditionnelles dans le domaine médical, et donne le nom et le nombre de points de chaque méridien selon leur localisation exacte ainsi que leurs indications [8].

Ge Hong 葛洪 (283–343 EC), alchimiste et médecin taoïste a laissé deux traités médicaux importants : les « Médications du Coffre d’Or » (Jinkui yaofang 金匱藥方) et les « Prescriptions d’Urgence » (Zhou hou bei jifang 肘後備急方) qui donnent des conseils de médecine préventive pour prolonger la vie et éviter les maladies [[12]]. Il est aussi l’auteur du célèbre Baopuzi (抱朴子), traité sur l'alchimie, la diététique et certaines pratiques médicales magiques, à la recherche de l’immortalité physique. La partie ésotérique de son œuvre, le Baopuzi neipian 抱朴子內篇 est d’ailleurs entièrement consacrée à cette quête de longévité. Il s’agit en effet d’un véritable traité d’immortalité, dans lequel la question est abordée sous tous ses aspects, philosophiques comme techniques [[13]].

 Dynasties Sui et Tang (581-907)

 

Cette époque a vu un grand développement de l’acupuncture, comme l’attestent les manuscrits de Dunhuang (Dunhuang yiyao wenxian jijiao 敦煌醫藥文獻輯校) découverts dans les grottes de cette cité importante de la Route de la Soie, point d'échanges entre la Chine et le monde extérieur. Plus d’une centaine de manuscrits médicaux des dynasties Sui et Tang a ainsi été répertoriée. L'importance de ces manuscrits est considérable dans l'optique d'une approche historique de la médecine chinoise et pour l'histoire de la médecine dans son ensemble [[14]]. Ainsi de nombreux manuscrits décrivent les fléaux et les maladies retrouvés le long de la route de la soie. Par exemple, l’un d’eux écrit vers 803 EC est un texte intitulé « Les dix Maladies mortelles » qui sont apparemment des maladies contagieuses : nuebing (fièvre intermittente), tianxing 天行 (terme générique pour les maladies épidémiques), zubing 卒病 (maladies mortelles), zhongbing (maladies inflammatoires), chanbing (maladies lors de l'accouchement) huanfu 患腹 (maladies abdominales), huanyong (maladies dermatologique, furoncles), fenghuangbing 黄病 (maladies liées au vent, hépatites, normalement associées à un ictère), shuili 水痢 (diarrhées), yanbing 眼病 (maladies de l'œil) [[15]]. Un autre manuscrit est un schéma de l’utilisation des points de moxibustion, datant de 600-900 EC (figure 2), la plus ancienne des cartographies de moxibustion que l’on ait découverte [[16]]. Les textes retrouvés ont des similitudes avec le Huangdi neijing, mais aussi le Shanghanlun (傷寒論), le Maijing et bien d’autres classiques moins connus comme le Tangren xuanfang (唐人選方) ou le Bingxing maizhen (形脈診).

Figure 2. Jiufa tu (灸法圖) : schéma des points de moxibustion (Or.8210/S.6168a)

Sous la dynastie Tang, un grand médecin Sun Simiao 孫思邈 (581-682) se fait connaître au travers de ses œuvres, le Yinhai Jingwei (la Mer d’Argent) [[17]], premier traité chinois d’ophtalmologie s’intéressant aux 81 maladies de l’œil et son traité principal le Qianjin Fang (Prescriptions Valant Mille Pièces d'Or) dans lesquelles sont abordées la diététique, la sphygmologie, l’acupuncture, la phytothérapie. Il recommande ainsi les algues marines pour le goitre thyroïdien et des haricots pour le béri-béri [9].

Sun Simiao serait aussi à l’origine des points ashi, points douloureux que l’on puncture et que l’on reconnaît actuellement comme des trigger points.

Chao Yuanfang 巢元方(550-630), médecin de l'Empereur Yang Di de la dynastie des Sui, prit en charge la rédaction du célèbre ouvrage Zhubing yuanhou zonglun (« Traité général de l'étiologie et la symptomatologie des maladies » qui fut le premier travail chinois dans ce domaine et resta un ouvrage de référence pendant longtemps. Il a été écrit en 610, en 50 volumes  (67 parties avec 1720 cas) avec étiologie et symptômes des maladies diverses.

Dynastie Song du nord (9601127)

Au cours de cette dynastie et sous l’autorité de l’Empereur, de nombreuses écoles d’acupuncture fleurissent afin de systématiser la connaissance médicale. Wang Weiyi (987-1067), acupuncteur célèbre fit couler ainsi deux statues creuses grandeur nature en bronze, sur la surface de laquelle étaient marqués les trajets des méridiens et la localisation exacte des points. Il récapitula ses recherches détaillées sur les 657 points d’acupuncture dans son livre, le Tongren shuxue zhen jiu jujing (Manuel illustré des points d'acupuncture et de moxibustion indiqués sur la statue de bronze) (1027). D’autres statuettes en réplique réduite seront fondues pour différentes écoles. Les statues enduites d'une couche de cire jaune et remplies d'eau servaient aux étudiants pour localiser avec exactitude les points d'acupuncture. En perçant la couche de cire avec une aiguille, ils devaient faire jaillir l’eau du modèle si le point était bien repéré (figure 3). Une faculté est ouverte entre 1068 et 1086 à Kaifeng, ce qui facilitera l'enseignement de l'acupuncture [9]

Figure 3. Exemple de reproduction d’une statue en bronze de la dynastie Song (extrait du Zhong Guo Yi Xue Tong Shi Tu Pu Juan. http://en.tcm-china.info/acupuncture/origin/75565_2.shtml. 

Dynasties Jin-Yuan (1115 - 1368), Ming (1368 ‐1644) et Qing (1644 ‐1911)

Même si l’acupuncture est pratiquée hors des frontières de Chine comme le Japon, la Corée, le Vietnam ou le Tibet, l’importance de l’acupuncture décline rapidement. Mais quatre nouvelles écoles sous les dynasties Jin et Yuan auront encore une grande influence avec des médecins de valeur : Liu Wansu 劉完素 et l’École du Froid et du Frais, Zhang Conzheng et l’École de la Purgation, Li Gao 李杲 et l’École de la Tonification de la Terre et enfin Zhu Zhenheng 朱震亨 et l’École de l'Entretien du yin [[18]].

Sous la dynastie Ming, de grands ouvrages paraissent néanmoins comme le Bencao Gangmu 本草纲目 (Compendium de materia medica), le Binhu Maixue 濒湖脉学 (Étude du pouls de Bin Hu) et le « Compendium d'Acupuncture et Moxibustion » 針灸大成 (Zhenjiu dacheng), compilé par Yang Jizhou en 1601 [8]. Celui-ci s’inspire directement du Suwen, du Nanjing et bien d’autres ouvrages antérieurs et va demeurer l’ouvrage de référence pour tous les acupuncteurs traditionnels. Le Bencao Gangmu de Li Shizhen 李時珍 (1518-1593), gigantesque travail dressant la liste de 1892 substances médicales est le résultat de presque 30 ans de travail. Il s’agit non seulement d’un grand traité de pathologie et de thérapeutique, mais aussi un traité étendu sur différentes parties de l'histoire naturelle, comprenant la botanique, la zoologie, la minéralogie et la métallurgie [[19]] (figure 4). Le Binhu Maixue, écrit aussi par Li Shizhen en 1564 est quant à lui, un traité sur les vingt-sept types de pouls et leur valeur diagnostique [[20]].

Un autre traité, le Wen Relun 溫熱論 (Traité sur les maladies fébriles) de Ye Tianshi sous la dynastie Qing (1690-1760) est édité en 1740, livre sur le diagnostic et le traitement des maladies fébriles dans lequel une théorie sur l’émergence de la maladie est expliquée. La pathologie se développe en fonction du niveau de wei (résistance superficielle), qi (énergie), ying (nutrition) et xue (Sang) [10].

Figure 4. Bencao Gangmu (Compendium de materia medica).

 

Le Yixue yuanliu lun (Origines et histoire de la médecine) est écrit par Xu Dachun 徐大椿, un autre médecin célèbre de la dynastie Qing en 1757. Il retrace l’histoire de la médecine traditionnelle chinoise et aborde de manière critique tous les différents systèmes théoriques, diagnostiques et thérapeutiques de ces prédécesseurs. Il construit son propre système médical en ne tenant compte que des seuls classiques Neijing, Shennong bencaojing et Shanghanlun [[21]]. Ainsi on s’aperçoit que la majorité des médecins dédaigne l’acupuncture et la moxibustion au profit de la phytothérapie ou des massages tuina.

Et, l’acupuncture faillit disparaître !

En 1822, les autorités ordonnèrent d’abolir l’acupuncture et la moxibustion à titre définitif de la faculté de médecine impériale parce qu’elles ne pouvaient convenir pour traiter l’empereur [[22],26]. Bien que l'interdiction ne s’étende pas au-delà des limites de la cité interdite, il est clair que les médecins avaient de ce fait peu de chances de se spécialiser en acupuncture.

Néanmoins des ouvrages sortent encore comme le Yilin Gaicuo 醫林改錯, écrit par Wang Qingren 王清任 en 1830 qui discute sur les erreurs anatomiques retrouvées dans la littérature classique et ses suggestions de corrections basées sur ses études des cadavres. Il ne se contenta pas de corriger les erreurs commises par les générations passées concernant les organes en aidant ainsi au passage des concepts de la médecine occidentale mais proposa aussi de nouvelles méthodes de traitement des troubles circulatoires et de l'hémiplégie.

République de Chine (19121949)

La révolution de 1911 sonne le glas de la dynastie Qing, mais ne rétablit pas l’acupuncture dans ses prérogatives. Elle ne cesse de décliner et faillit à nouveau disparaître. En effet, en 1929, sous la pression de certains intellectuels progressifs du Mouvement du 4 mai 1919 et du Dr Yu Yunxiu, le gouvernement du Guomindang alla jusqu’à proposer l’abolition de la médecine chinoise qualifiée de vieille médecine réactionnaire, superstitieuse et irrationnelle en opposition à la nouvelle médecine venue de l’Ouest dont le Dr Sun Yat Sen (1866-1925), médecin formé à la manière occidentale était adepte. Aucune résolution d’abolition ne fut heureusement adoptée. Au contraire cela aboutit à une structuration de la médecine chinoise grâce entre autres à un célèbre acupuncteur Qin Bowei qui participera à la fondation d’un « Institut Chinois de Médecine » [3,[23],[24],[25],31].

Et ce sursaut va venir aussi de quelques médecins qui vont promouvoir l’acupuncture comme une alternative bon marché à la médecine occidentale. L'un d'entre eux est Cheng Danan 承淡安 (1899-1957), un acupuncteur et pédiatre de Jiangsu, qui avait visité le Japon dans les années 1930. En Chine, il crée une « société pour la recherche sur l’acupuncture chinoise » à Wuxi avant de lancer sa propre revue. Son acupuncture est fondée sur les Classiques (Zhenjiu jiayijing, Dacheng etc.) qu’il tente de systématiser, mais aussi sur la théorie que le mécanisme d'action acupunctural pouvait être en rapport avec la stimulation des nerfs telle qu’elle était décrite à ce moment en médecine occidentale. Cheng (figure 5) insista pour que les points d'acupuncture soient redéfinis à la lumière de cette idée [[26]]. Par le biais de ses élèves (Gao Zhenwu, Shao Jingming etc.), ses écrits (Zhongguo zhenjiu zhiliaoxue [[27]] et son activité politique (il fut membre de nombreux comités nationaux en charge de la politique médicale et de l'éducation) Cheng a exercé une profonde influence sur le développement de l'acupuncture en Chine [[28]]. Il va d’ailleurs s’aider de l’évolution de l’acupuncture hors des frontières chinoises comme au Japon où un renouveau existe sous l’influence de Yanagiya Sorei [[29]] et Takeshi Sawada [[30]] qui développent une acupuncture en rapport avec les Méridiens et en France grâce à George Soulié de Morant (1875-1955) en poste au consulat de Kunming en 1908. D’ailleurs, il écrit un article sur l’acupuncture française où il montre l’intérêt des Français dès 1820 avec les travaux de Jules Cloquet, Dantu mais aussi ceux de Soulié de Morant [[31]]. Cheng ignore que son approche moderne initiale est à l’opposée de l’approche française qui s’appuie sur l’ésotérisme chère à Guénon [25] et le néo-hippocratisme influencé par les médecins du Carrefour de Cos dans un contexte du non-conformisme [1,2,[32],[33]].    

Figure 5. Cheng Danan 承淡安 (1898-1957).

République Populaire de Chine (1949 à nos jours)

 

Mao Zedong qui fonda la République Populaire Chinoise en 1949 rejeta tout d’abord la médecine traditionnelle mais sous la pression économique (coût moindre) et politique (reconnaissance des paysans qui représentait à ce moment la plus grande part de la population), il redonna l’impulsion nécessaire à la renaissance ou l’invention de la médecine traditionnelle chinoise [2,3], tout en sachant que le Gouvernement Communiste devait faire face à une insuffisance importante de personnel médical et que le praticien traditionnel était donc une solution à ce problème.

En effet, les dirigeants communistes considéraient depuis longtemps la médecine chinoise comme une médecine ésotérique, superstitieuse et «féodale ». Mais, leur but non avoué était l’union des médecins à éducation moderne scientifique et des praticiens traditionnels pour un meilleur service de santé envers le peuple dans le concept de la médecine dite intégrative [[34]]. Ainsi on peut constater dans les articles médicaux de la période 1951-1955 du journal Beijing Zhonyi, des essais intensifs pour éduquer les médecins traditionnels selon les principes d’anatomie moderne [[35]]. Et à partir de 1954 des Collèges de médecine chinoise sont ouverts à Shanghai, Guangzhou, Chengdu et Pékin avec réédition des grands Classiques. En 1958, la médecine chinoise est déclarée « trésor national » par le gouvernement. Mais la médecine chinoise doit se moderniser, devenir plus scientifique et même intégrer la médecine occidentale.

Dans les années 1980, une loi est promulguée définissant la MTC comme faisant partie du système de soins de santé. Depuis les années 1990, le gouvernement chinois fait des efforts dans la mondialisation de la médecine chinoise pour développer son potentiel économique.

Néanmoins, à l’heure actuelle, même s’il existe un engouement important du monde occidental pour la MTC et plus particulièrement l’acupuncture, elle tend à avoir une place de moins en moins importante en Chine.

Ainsi il est apparu qu’il existait en Chine une remise en question de l’efficacité de la MTC. En 2006, Zhang Gong-Yao, professeur à l'Université chinoise de South Central dans le Hunan, a lancé une pétition en ligne pour la suppression de la MTC du système de santé de la Chine. Zhang explique qu’il n'y a aucune percée majeure de la MTC dans le traitement des maladies et que les syndromes tels que « Déficience du Rein yin » ou « Déficit du qi de Cœur » ne peuvent être définis comme de véritables maladies. Cette déclaration met en lumière la situation déplorable de la MTC en Chine où la médecine occidentale influence de manière déterminante les traitements, comme au temps où Mao Zedong, pourtant promoteur de la MTC, utilisait pour tous ses problèmes médicaux la médecine occidentale. Dans l'enseignement de la médecine chinoise, l'occidentalisation de la formation de la médecine chinoise est la norme. L’étude des grands Classiques est remplacée par des formations en recherche biomédicale occidentale et nombreux sont les étudiants inscrits à un doctorat de médecine chinoise qui ne connaissent pas le Huangdi neijing [23].

La réplique peut-être à cet état de fait est retentissante car l’acupuncture, à la demande de la Chine, est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO le 16 novembre 2010. Deux des motifs d’inscription : « l’acupuncture et la moxibustion sont un savoir et une pratique traditionnels transmis de génération en génération et reconnus par les communautés chinoises dans le monde entier comme élément de leur patrimoine culturel immatériel ; leur inscription sur la Liste représentative pourrait contribuer à la sensibilisation concernant la médecine traditionnelle dans le monde entier, tout en favorisant les échanges culturels entre la Chine et d’autres pays » [[36]].

 

Conclusion

 

L’histoire de la médecine chinoise est en constante évolution. La « tradition inventée » par Mao semble n’être plutôt qu’une transformation, une mutation de la médecine chinoise en une médecine chinoise « intégrative » comme cela a été réalisé déjà au cours des siècles. Les acupuncteurs chinois ont toujours eu la prudence de ne pas rejeter les précédents concepts et ont préféré les intégrer au corpus initial. Ainsi, les anciens concepts Taoïstes du yin et du yang tirés du Naturalisme se mêlent aux idées de maladies dues aux possessions par les démons, aux théories des cinq éléments, aux méridiens et aux syndromes zheng plus modernes dans un respect tout à fait confucéen pour les précédents paradigmes. Les concepts de chaque période ont été assimilés, digérés comme le sont actuellement ceux de la médecine moderne. En Chine, même si l’acupuncture a été progressivement rejetée au profit de la médecine Occidentale, de nombreux modèles différents persistent où l’on voit se côtoyer acupuncture occidentale et acupuncture traditionnelle basée sur les grands Classiques dans une tentative d'unifier et de moderniser la pratique, que l’Occident a appelé MTC, mais qui pour les chinois n’est tout simplement que de la médecine chinoise.

 

Dr Jean-Marc Stéphan

* jean-marc.stephan@univ-lille2.fr

Co-Coordinateur du DIU acupuncture obstétricale Lille 2

Chargé d'enseignement à la faculté de médecine Paris XI

 

 

 

 

 

Notes

1.       En 1995, la Chine a lancé un vaste projet visant à établir une chronologie rigoureuse pour les trois premières dynasties de son histoire, celle des Xia, des Shang et des Zhou (jusqu'à -841 pour cette dernière) en s’aidant des datations au carbone 14 et des données astronomiques corrélées aux inscriptions connues des Shang et des Zhou. Les résultats obtenus par environ 200 chercheurs servent à présent de références aux universitaires chinois. Les dates proposées pour les Xia vont de -2205 à -1767. Les Shang auraient régné de -1766 à -1122. La problématique vient du fait que ce projet fait encore appel à l'historiographie traditionnelle et n'est donc que partiellement scientifique.

Mes remerciements à Pierre Dinouart-Jatteau pour l'insertion des caractères chinois.

Références



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